Giampaolo Bisanti, face à Tristan und Isolde 

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Événement à l’opéra royal de Liège avec une nouvelle production de Tristan und Isolde de Wagner sous la direction de son directeur musical Giampaolo Bisanti.  Cela fait 99 ans que la partition n’a pas été présentée à Liège (dernière représentation le 26 mars 1926). Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec le maestro qui nous explique son rapport à ce chef d'œuvre.  

Diriger Tristan und Isolde, n'est-ce pas un absolu pour un chef d'orchestre ? 

Diriger les œuvres de Wagner, en particulier Tristan und Isolde, est une expérience à la fois exaltante et extrêmement exigeante. C'est comme plonger dans un océan de sonorités infinies, où chaque nuance, chaque respiration musicale porte une signification profonde. 

Tristan und Isolde est particulièrement emblématique de cette complexité, mais la satisfaction d'interpréter une telle œuvre est immense. L’orchestration de Wagner est d'une complexité telle qu'elle demande une maîtrise absolue de la partition, une compréhension profonde de l'harmonie et une vision très personnelle de l'œuvre. Chaque instrument, chaque voix doit trouver sa place dans un ensemble colossal, pour créer une atmosphère unique et envoûtante. L'harmonie wagnérienne, avec ses chromatismes et ses modulations audacieuses, repoussait les limites du langage musical de son époque. Pour un chef d'orchestre, c'est un défi passionnant que de donner vie à cette musique si riche et si dense.

Il y a indubitablement dans cette partition, une sorte de transe extatique, en particulier à l'acte II. Dès lors, comment canaliser cette énergie de sentiments ? 

Le deuxième acte présente sans aucun doute des pages musicales très inspirées et d'une grande portée émotionnelle pour les interprètes et l'auditeur. Le chef d’orchestre, dans ce cas, doit être un peu comme le sculpteur d'un bloc de marbre qui révèle peu à peu la beauté cachée au cœur de la partition. La communion avec les musiciens et le public, lorsque tout fonctionne à la perfection, est une expérience inoubliable. C'est un moment où l'art et l'émotion se mêlent pour créer une magie unique.

Dans une récente interview, Christian Thielemann déclarait à propos de Wagner : "sa musique est d'une telle intensité qu'on ne peut y échapper : ceux qui prétendent détester sa musique font preuve d'un amour déçu pour elle.". Qu'en pensez-vous ? Peut-on dire que si on déteste Wagner c'est les suites d'un amour déçu avec sa musique ?  

Je ne pense pas qu'on puisse détester un musicien ou un compositeur. La haine est un mot que je n’associerais jamais à la musique. 

Je comprends que la musique de Wagner est certainement complexe tant pour les interprètes que pour les auditeurs. Il faut se préparer avec un esprit libre et un cœur ouvert pour que le message très puissant de son langage musical nous frappe. Peut-être est-il moins « immédiat » que d'autres compositeurs mais lorsqu'il parvient à toucher notre âme, on ne peut plus s'en passer.

Est-ce qu'il y a une latinité dans Tristan und Isolde ? On sait que Wagner avait une profonde admiration pour Bellini. Qu'en pensez-vous du fait de votre grande connaissance de l'opéra italien ? 

Oui, c'est très vrai !  Wagner a exprimé une grande admiration pour Vincenzo Bellini et son opéra Norma. Il a souvent évoqué la beauté mélodique et l'intensité dramatique de cette œuvre comme une source d'inspiration.

En fait, quelques observations intéressantes peuvent être faites :

Si le chromatisme est une caractéristique majeure de l'harmonie wagnérienne, il est intéressant de noter que Bellini, bien qu'à un degré moindre, a également utilisé ce procédé pour créer des atmosphères particulières. Les mélodies de Wagner, tout en étant souvent plus complexes et plus longues que celles de Bellini, conservent une certaine fluidité et une expressivité qui rappellent le bel canto italien.

Cependant, il est important de souligner que l'italianité dans la musique de Wagner ne se réduit pas à une simple imitation. Wagner a su intégrer ces influences à son propre langage musical pour se créer ainsi un style unique et personnel. L'italianité dans son œuvre est plutôt une source d'inspiration qui lui a permis d'explorer de nouvelles voies harmoniques et mélodiques.

En matière de tempi, Wagner s'accommode autant des tempi lents, que des tempi rapides. Quelle est votre conception ?

Le choix des tempi dans la musique de Wagner est une question qui a toujours suscité de nombreux débats parmi les musicologues et les chefs d'orchestre. Il n'existe pas de réponse unique et définitive, car la musique de Wagner est riche en nuances et en possibilités d'interprétation.

Chaque chef d'orchestre apporte sa propre vision d'une œuvre, et cette vision se reflète dans les choix de tempi qu'il opère. Ces choix sont influencés par de nombreux facteurs; chaque chef d'orchestre a sa propre compréhension de l'œuvre et de ses intentions. Cette compréhension subjective est fondamentale pour guider les choix interprétatifs.

Dans mon cas, j'opterai pour une approche qui met en valeur à la fois la grandeur et la délicatesse de la musique de Wagner. En dilatant certains mouvements, notamment ceux liés à l'amour, j'aimerais créer une atmosphère de rêve et d'éternité. En revanche, en accélérant les passages plus dramatiques, je voudrais souligner l'intensité dramatique de la musique. La chose la plus importante à souligner, au-delà de mes choix musicaux, c'est que la réussite d'une telle entreprise repose sur la qualité des interprètes. Des chanteurs extraordinaires et un orchestre et un chœur exceptionnels, comme nous avons réussi à les réunir ici à l'Opéra Royal de Wallonie, sont indispensables pour donner vie à une telle vision.

A voir :

Tristan und Isolde de Wagner à l'Opéra royal de Liège, du 28 janvier au 8 février.

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