Gidon Kremer, le fidèle ami
Mieczyslaw Weinberg (1919 - 1996)
Sonate n°3 op. 126 pour violon solo, Trio à cordes op. 48, Sonatine pour violon et piano op. 46, Concertino op. 42 pour violon et orchestre à cordes, Symphonie n°10 op. 98 pour orchestre à cordes
Gidon Kremer (violon), Daniil Grishin (alto), Giedré Dirvanauskaité (violoncelle), Daniil Trifonov (piano), Kremerata Baltica, Danielis Rubinas (contrebasse), dir.: Gidon Kremer
2014 - DDD - 83'17'' + 55'25'' - Textes de présentation en allemand et en anglais - ECM New Series 2368/69
C'est depuis peu que l'on parle de Mieczyslaw Weinberg, qu'on l'enregistre, et, souvent, c'est pour le mesurer à l'ombre de Chostakovitch. Et pourtant, Weinberg a composé pas moins de 7 opéras -dont The Passenger créé au Festival de Bregenz en 2010 et L'Idiot d'après Dostoïevski, son ultime opéra, créé par Thomas Sanderling-, 22 symphonies, 10 concertos, 17 quatuors à cordes, sans compter ses oeuvres de musique de chambre et de musique vocale. Si, de façon générale, la musique de Weinberg sonne plus "optimiste" que celle de Chostakovitch, son passé ne le prédisposait pas à une telle vision du monde. Né à Varsovie en 1919, il fut le seul survivant d'une famille disparue dans les camps de concentration; à chaque fois qu'il se sentait menacé, il quittait une ville pour en retrouver une autre, et finalement échoua à Moscou où seule la mort de Staline lui épargna le destin final. Ami de Chostakovitch, ce dernier le considérait comme un "génie". Les deux hommes se montraient leurs travaux, mais c'est dans l'esprit plus que dans la forme que l'on peut parler d'influences réciproques. Ainsi, c'est probablement la fréquentation de Weinberg qui inspira à Chostakovitch son cycle sur les chants populaires juifs et sa 13e Symphonie, les affres de Babi-Yar. Le Trio op. 48 de Weinberg, la seule oeuvre qu'il écrivit pour cet ensemble, pourrait être du Chostakovitch. Mais sur l'ensemble de ces deux CD, c'est la seule oeuvre que l'on peut considérer à l'ombre de l'ami. La Sonate n°3 pour violon solo date de 1979 et a été écrite "à la mémoire de son père"; chacune de ses sept parties est caractérisée par une idée musicale : tantôt les rythmes répétitifs, tantôt le lyrisme, la mélodie, la danse, la colère, la contemplation,... que Kremer a concrétisée par sept "portraits" : portrait du père, de la mère, autoportrait du compositeur enfant, transition cadentielle, "Flight, running amok", réminiscence dans la solitude, danse fantastique. Une oeuvre ultra-virtuose que Kremer magnifie pour en dégager la force et l'essence. La 10e symphonie relève d'une commande et d'une dédicace à Rudolph Barshaï et le Moscow Chamber Orchestra. En cinq mouvements, elle est, par son dodécaphonisme sériel, l'oeuvre la plus expérimentale de Weinberg, offrant des combinaisons inattendues de sons puissants, des explosions de forte, des rythmes contrariés et des sections en graves accords. On sait la croisade de Kremer pour faire connaître les compositeurs qui ont dû combattre à l'ombre. C'est à Weinberg qu'il s'attache aujourd'hui, un compositeur qui a encore beaucoup à nous dire dans un langage direct qui s'adresse à l'émotion. C'est peut-être en cela qu'on le compare à Chostakovitch.
Bernadette Beyne
Son 10 - Livret 8 - Répertoire 9 - Interprétation 10