Sept compositrices pour la flûte intense de Yasuko Suzuki

par

L’Âme résonnante. Claude Arrieu (1903-1990) : Sonatine pour flûte et piano. Clémence de Grandval (1828-1907) : Valse mélancolique pour flûte et harpe, transcription : Honoré Béjin.  Marguerite Canal (1890-1978) : Sonate pour violon et piano. Pauline Viardot (1823-1910) : Sonatine pour violon et piano. Louise Farrenc (1804-1875) : Variations concertantes sur une mélodie suisse pour violon et piano op. 20. Joséphine Boulay (1869-1925) : Romance sans paroles. Cécile Chaminade (1857-1944) : Les Sylvains pour violon et piano op. 60a. Yasuko Suzuki, flûte et transcriptions ; Honoré Béjin, piano. 2024. Notice en français et en anglais. 69’ 35’’. Indésens IC069.

Le présent programme est un hommage fervent à des compositrices. Choisi avec soin dans le catalogue de créatrices des deux derniers siècles., il a fait l’objet de plusieurs concerts publics. Au début de la décennie 1980, la flûtiste Yasuko Suzuki, originaire du Japon, a étudié en France, au Conservatoire à Rayonnement régional de Saint-Maur-des-Fossés, dans la classe d’Ida Ribera, assistante de Jean-Pierre Rampal au CNSMDP, avant de se perfectionner dans des masterclasses, comme celle de Robert Hériché, et auprès de personnalités comme Maxence Larrieu ou Aurèle Nicolet. Elle compte à son actif deux albums consacrés à la musique française et aux musiques latines. Elle s’est produite à plusieurs reprises dans son pays natal. Avec le pianiste Honoré Béjin, un élève de Billy Eidi, Alain Planès et Emmanuel Strosser, elle a conçu ce florilège qui, comme son intitulé l’indique, se penche sur « l’âme résonnante » des compositrices. Le charme agit, d’un bout à l’autre de cet éventail de pages méconnues.

Une seule œuvre originale est à l’affiche : la Sonatine de Claude Arrieu, fille de la pianiste et compositrice Cécile Simon. Elle a été l’élève de Marguerite Long, et de Paul Dukas pour l’écriture. Cette partition publiée en 1946, de facture classique, est en trois brefs mouvements, et s’adresse avec chaleur à l’émotion et au cœur, avec un ravissant Andantino central. Le reste de la programmation consiste en transcriptions. L’une d’entre elles est de la main d’Honoré Béjin. Ces cinq minutes, prévues initialement pour flûte et harpe, sont signées Clémence de Grandval. Pianiste et cantatrice, devenue vicomtesse par mariage, elle a été formée par Friedrich von Flotow, un ami de la famille et par Saint-Saëns pour la composition. Elle a aussi reçu quelques leçons de piano de Chopin. Elle a laissé un prolifique catalogue de pages symphoniques, lyriques (plusieurs opéras) et chambristes, mais a souffert, comme bien d’autres créatrices du temps, de sa condition féminine. Sa Valse mélancolique dévoile une délicate poésie. 

Les autres transcriptions sont dues à Yasuko Suzuki. Des noms plus connus apparaissent : Pauline Viardot, dont on découvre une Sonatine enlevée et facétieuse, Cécile Chaminade, qui déploie son habituelle délicatesse romantique dans Les Sylvains de 1923, la très douée Louise Farrenc, avec de brillantes et chatoyantes Variations concertantes sur une mélodie suisse. La Romance sans paroles de Joséphine Boulay rappelle le souvenir de cette Parisienne, aveugle dès ses trois ans, qui étudia avec Massenet et Fauré, mais aussi l’orgue avec César Franck, devenant la première femme à obtenir un premier prix au Conservatoire pour l’instrument. Elle enseigna pendant près de quarante ans à de jeunes aveugles. Sa Romance de moins de cinq minutes révèle un tempérament à la forte expressivité.

La Sonate de Marguerite Canal, qui ouvre le programme, est aussi la plus longue de l’album. En quatre mouvements d’une durée totale de vingt-cinq minutes, elle témoigne d’un remarquable talent. Originaire de Toulouse, elle entre au Conservatoire de Paris en 1902, dès ses douze ans et obtient, avec les félicitations de Saint-Saëns, un Grand Prix de Rome pour une cantate en 1920. Trois ans auparavant, elle a été la première femme à diriger un orchestre lors de plusieurs concerts parisiens au profit des prisonniers de guerre. Dans cette Sonate, écrite en 1922 lors de son séjour romain, on trouve des influences de Debussy et de Fauré, dans un langage personnel marqué par la virtuosité, l’éclat et la rutilance, mais aussi une expressivité débordante, qui trouve son apogée dans un Adagio inspiré.

Yasuko Suzuki est très à l’aise dans ce répertoire, qu’elle anime avec élégance et une chaude virtuosité. Avec son partenaire, complicité renforcée par les concerts partagés, elle donne à ce bouquet de pages de compositrices toutes les nuances et les couleurs qu’elles méritent. Ce beau récital, bien adapté à l’intensité de « L’Âme résonnante », est à connaître, tant pour ses découvertes musicales que pour son interprétation de qualité. On regrettera toutefois que la description des œuvres, dont Honoré Béjin signe une présentation trop brève, n’ait pas fait l’objet de plus amples précisions. Même si cela n’enlève rien au plaisir de l’écoute, c’est quand même une occasion ratée en ce qui concerne la documentation due au mélomane. 

Son : 9    Notice : 6    Répertoire : 9    Interprétation : 10

Jean Lacroix               

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.