Hautbois baroque, deux récentes parutions

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Les Hautbois à la Chambre du Roi. Œuvres de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), François Couperin (1668-1733), Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), André Campra (1660-1744), Antoine Dornel (1680-1757), Marin Marais (1656-1728), André Danican Philidor (1652-1730), Michel de La Barre (c1675-1745), Robert De Visée (c1655-c1733), Pierre Danican Philidor (1681-1731), Jacques-Martin Hotteterre (1673-1763), Michel-Richard de Lalande (1657-1726). Syntagma Amici. Elsa Frank, Sophie Rebreyend, hautbois, flûtes à bec. Anaïs Ramage, basson, flûte à bec. Hélène Houzel, violon, taille de violon. Jérémie Papasergio, bassons, flûtes à bec, cromorne basse, flageolet. Manon Papasergio, basse et dessus de viole, petite basse de violon. Gabriel Rignol, théorbe, guitare. Brice Sailly, clavecin, orgue. Romain Bockler, basse-taille. Octobre 2022. Livret en français et anglais. 79’13’’. Ricercar RIC 458

No Strings Attached. Œuvres de Henry Purcell (1659-1695), Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), George Frideric Handel (1685-1759), Louis-Antoine Dornel (1680-1757), Johann Christian Schieferdecker (1679-1732), Antonio Vivaldi (1678-1741), Reinhard Keiser (1674-1739). La Petite Écurie. Miriam Jorde Hompanera, Valerie Colen, Marc Bonastre Riu, hautbois. Giovanni Battista Graziadio, basson. Philipp Lamprecht, percussion. Mai 2023. Livret en anglais, français et allemand. 55’10’’. Arcana A570

En un précédent CD, les ensembles Syntagma Amici et Giourdina redonnaient verve à un panel de défilés martiaux, de parades équestres, de cortèges nuptiaux, de convois funéraires, et autres festins, brossant un riche et enthousiasmant tableau musical de l’apparat sous l’Ancien Régime, depuis la Renaissance jusqu’à l’apogée du Roi Soleil. Après un tel festival de plein air, la présente parution se concentre sur l’aval de ce répertoire, et explore des instances plus confinées voire confidentielles, plantant son décor à l’Académie, à la Chapelle, à la Chambre. Un avenir qui vit l’apparition du hautbois, au prix d’une évolution de sa facture, au sein de l’orchestre baroque, après que Lully l’y introduisit dans son ballet L’Amour malade, « dansé par Sa Majesté » en 1657. Mais aussi dans des cénacles instrumentaux où à la fin du XVIIe siècle, grâce aux recueils de Marin Marais et du jeune Michel de La Barre, et dans un lignage qui jusque-là privilégiait les archets, le hautbois intégrait progressivement la Chambre : une présence dans l’intimité de Louis XIV qu’avouera en 1722 l’édition des Concerts royaux de François Couperin.

Pour illustrer ce baptême des anches dans la nouvelle sensibilité de l’époque, le programme entend se structurer non au travers d’une chronologie historique mais comme « un concert imaginaire à la Chambre du Roi », évoquant les moments successifs d’une journée du monarque, librement inventée au prisme de circonstances quotidiennes. Puisque l’anthologie invite quelques pages solistes, pour clavecin ou théorbe, on conseillerait à l’auditeur de conjoindre le divertissement lullyste qui inaugure l’album avec les musiques de bal qui se situent aux plages 12-21 : un aménagement qui permettra plutôt de s’éveiller, dans la pénombre du Lever, avec le délicat Prélude joué par Brice Sailly. François « Le Grand » reste à l’honneur avec sa sonate en quatuor La Sultanne (ici abordée sur un consort de violon, hautbois, basse de violon et basson) et son Onzième Concert, jouxtant une sonate d’Antoine Dornel. Le volet religieux convie une Ouverture pour l’église de Marc-Antoine Charpentier –occasion de rappeler combien le compositeur du Te Deum, mais aussi de Noëls pour les instruments délaissant l’orgue associé au genre, impliqua les vents dans sa musique sacrée. Le motet Caeli ennarant gloriam de Campra, chanté par Romain Bockler, complète ce pan d’autel.

Un large quart d’heure de danses (marche, gigue, gavotte, canarie, rigaudon, menuet, chaconne, contredance, passepied) rythme le plancher d’une soirée aristocratique, épicée par l’exotisme d’une procession avec chapeau chinois, et par les Manches vertes où l’on reconnaîtra bien sûr la mélodie du célèbre Greensleeves. Cette galerie de réjouissances chorégraphiques précède le Coucher : une thématique déjà investiguée voilà quatre ans dans un album qui était entièrement dédié à cette part nocturne du protocole versaillais. C’est ici une Suitte en do mineur de Hotteterre, un air du Phaéton de Lully qui nous conduisent au sommeil, et finalement un sage Quatuor de Michel-Richard de Lalande, propice à l’engourdissement.

Plus que dans son album Fastes de la Grande Écurie que nous avions salué par un Joker, et où rutilaient les cuivres, Syntagma Amici rencontre ici dans certaines pièces (notamment Couperin) un contexte discographique très bien fréquenté. Ce parage n’ôte rien à l’attrait de ce copieux florilège, conçu avec intelligence et variété, et servi par une experte équipe de musiciens qui s’acquitte avec une exemplaire finesse de réalisation. Une captation particulièrement fluide et transparente, à Notre-Dame de Centeilles où le label Ricercar à l’habitude de poser ses micros, parachève ce récital des plus subtils.

« No strings attached » : une expression anglaise d’origine mercantile aux origines ambiguës, peut-être celles d’une corde accrochée à certains tissus pour signaler un défaut de confection. De nos jours elle désigne une affaire sentimentale sans lendemain, une relation libre, telle qu’on retrouve ce sens dans le titre original de la comédie américaine Sex Friends (2011), et plus généralement un acte sans contrepartie ni obligation. Appliquée au présent disque, cette expression désigne un florilège d’œuvres dénuées d’accompagnement à cordes. Puisque nous en sommes aux tournures idiomatiques, ouvrons une parenthèse linguistique. Écrire « les instrumentistes à cordes sont comme des cochons enfermés dans un sac » (page 12) que mentionnent les mémoires fictifs rédigés par Eva Ximena Traa relève peut-être d’une maladresse de traduction de l’anglais (« pig in a poke ») vers le français. Du moins perd-on le sens de l’expression « acheter un chat en poche » (utilisée en français, allemand, néerlandais), où le félin emballé dans un sac était fallacieusement substitué par le vendeur à la place d’un animal plus onéreux (tel un cochon de lait) que l’on menait au marché. Acheter sans vérifier le contenu, et nous voici gros-Jean comme devant. Sauf que les grognements des pourceaux ne sauraient ressembler aux miaulements que l’auteure du livret assimile aux bruits disgracieux des archets : dans cette opaque traduction, le lecteur risque de ne pas saisir la railleuse allusion.

Le recueil des Musicalische Concerte de Johann Christian Schieferdecker, prônant un quatuor d’anches en l’absence d’autres musiciens, a été pour La Petite Écurie l’étincelle de cette anthologie émancipée. Les arrangements émanent parfois de l’époque même, ainsi ceux consignés dans la Sonsfeldsche Musikalien Sammlung de la bibliothèque Fürstenbergiana d’Herdringen (Wetsphalie), et notamment les recueils qui appartinrent au général prussien Georg von Lilien (1652-1726), incluant le concerto grosso en fa majeur HWV 315 de G.F. Haendel, ici retenu. Précisons que les bandes de hautboisten, outre leur instrument de prédilection, étaient capables d’en jouer d’autres, ce qui relativise tout de même l’exclusivité de ce répertoire et sa pratique.

On aurait en tout cas aimé que la notice s’attardât sur les sources et leur perception. On est convié à un tour de l’Europe baroque. L’Angleterre s’invite dès l’introduction avec le Curtain Tune on a Ground du Timon of Athens de Purcell. Le royaume de Louis XIV est représenté par la Sonate en quatuor du Livre de simphonies de Dornel, dont Hugo Reyne et ses comparses (flûte, hautbois, violon) enregistrèrent une lecture plus brillante et aux timbres plus variés (Tempéraments, octobre 1997). Le siècle de Louis XV prête une sonate de Boismortier. L’Italie apparaît par une transcription du concerto « Per archi e cembalo » RV 153 du Prete Rosso. L’Allemagne se distingue par deux compositeurs septentrionaux, actifs ou publiés à Hambourg : un concerto de Schieferdecker, et une Ouverture en ré majeur de Keiser qui emprunte à son opéra Pomona, et qui se trouve ici enregistrée en première mondiale, dans cette parure pour anches dont le manuscrit est conservé à la bibliothèque universitaire de Lund. Cette rareté est judicieusement rythmée par la percussion de Philipp Lamprecht, dont les timbales et tambours historiques concourent à d’autres pages du programme. Outre contraste et impact jamais forcés (on souhaiterait même parfois plus d’élan, de netteté de projection, de panache), l’équipe fondée en 2018 n’oublie pas de soigner l’intonation et nuancer son phrasé. Autant d’arguments pour se laisser tenter par cet album.

Christophe Steyne

Ricercar = Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8 à 9,5 – Interprétation : 9,5

Arcana = Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire & Interprétation : 8,5

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