Le label Ricercar a quarante ans (2) : enregistrements d’après l’an 2000

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Nous poursuivons une sélection, non exhaustive, parmi les rééditions proposées par le label Ricercar à l’occasion des quarante ans de sa fondation par Jérôme Lejeune. Après un premier article et avant un troisième article nous nous attachons ici à cinq enregistrements réalisés entre 2004 et 2009. Désormais, Ricercar a intégré le groupe Outhere mais Jérôme Lejeune en demeure le directeur artistique.

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704) : Te Deum H. 146 ; Messe pour plusieurs instruments au lieu des orgues H. 513. Claire Lefilliâtre, soprano ; François-Nicolas Geslot, haute-contre ; Bruno Botere, ténor ; Jean-Claude Sarragosse, basse ; Chœur de chambre de Namur, Les Agrémens ; La Fenice, direction Jean Tubéry. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 49.49. Ricercar RIC 143

Ces enregistrements ont été effectués en septembre 2004 en l’église du prieuré de Cons-La-Grand-Ville, en Meurthe-et-Moselle (Te Deum), et en octobre 2004 en l’église abbatiale de Pontigny, dans le département de l’Yonne (Messe). Il reste quatre Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, dont celui-ci, avec trompettes et timbales, a été immortalisé par son majestueux et dynamique Prélude utilisé par l’Eurovision. Il semble avoir été composé à l’occasion des victoires remportées par le Royaume de France dans les années 1690-93, et plus précisément pour célébrer celle du Maréchal Duc de Luxembourg lors de la bataille de Steinkerque contre les armées de Guillaume III d’Orange-Nassau. La notice de Thomas van Essen explique les circonstances de la composition de cette partition à la fois élégante et exaltante, qui affirme la confiance en Dieu, mais aussi en son représentant royal bien-aimé sur la terre. La version du Chœur de Chambre de Namur et de l’ensemble Les Agrémens, dirigés par Jean Tubéry  est éloquente et imaginative, n’appuie pas les effets et rend à chaque partie, magnifiques voix comprises, sa caractérisation propre. Une belle réussite qui se prolonge dans la Messe jointe au programme, qui précise qu’elle est écrite « pour plusieurs instruments au lieu des orgues », assortie du plain-chant « pour les prestres ». On lira les péripéties qui ont amené à « remplacer » l’orgue, non encore installé au couvent de Notre-Dame de la Mercy pour la canonisation d’un évêque espagnol, par la famille des violons et des vents. L’œuvre étant incomplète, des emprunts à des pièces contemporaines du compositeur issues de sa musique instrumentale ont été faits. Composée une vingtaine d’années avant le Te Deum, cette partition à l’instrumentation originale se révèle du plus haut intérêt. Cette fois, Jean Tubéry est à la tête de La Fenice dans cet univers de sonorités variées, trois solistes du Chœur de Chambre de Namur assurant le plain-chant. 

Krummhorn. Danses, lieder, chansons et madrigaux. Œuvres de Stoltzer, Corteccia, Schein, Praetorius, Susato, Sennfl, Willaert, Isaac… Syntagma Amici. 2020. Livret en a nglais, en français et en allemand. 58.35. Ricercar RIC 146.

Ce disque au caractère insolite propose des enregistrements réalisés en l’église Notre-Dame de Centeilles en juillet 2006 et en l’église Saint-Apollinaire de Bolland en septembre 2007. Le « krummhorn » est un instrument typique de la Renaissance, qui se traduit par « tournebout » en français, et dont le caractère éphémère semble avoir été clôturé au début du XVIIe siècle. Il s’agit d’un instrument à vent à perce cylindrique et à anche double, son tuyau étant recourbé, d’où son nom. Il est apparu à la fin du XVe siècle et a été actif, essentiellement pendant le siècle suivant, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie. Sa tessiture est limitée et il n’est pas possible de jouer des nuances. On lira l’intéressante notice rédigée par Jérôme Lejeune, riche en informations sur la terminologie et le répertoire. Dans le présent enregistrement, les instruments utilisés sont de Bernhard Stilz, sur la base des originaux italiens du MIM de Bruxelles ; d’autres viennent du facteur britannique Eric Moulder. Une trentaine d’œuvres au programme, toutes de courte durée, signées Tielman Susato, Heinrich Isaac, Thomas Stoltzer, Josquin Desprez, Adrian Willaert, Michaël Praetorius et quelques autres, dont des anonymes. Un tableau de Vittore Carpaccio de 1510, conservé à Venise, est reproduit et permet de se représenter le tournebout/krummhorn. La soprano Kathelijne Van Laethem et la basse Dirk Snellings participent à cette aventure de l’ensemble Syntagma Amici, introduisant l’auditeur dans un monde sonore inhabituel, aux charmes distrayants, dans des contextes de danses au caractère léger ou ironique, de pièces vocales, notamment françaises, ou de musique polyphonique religieuse. C’est à une dégustation sonore que l’on est invité. C’est en tout cas un excellent moyen de sortir des sentiers battus, qui confirme une fois de plus, si nécessaire, que le terme de « ricercar » n’est pas usurpé par le label du même nom.  

Jean-Sébastien BACH (1685-1750): Toccata et fugue BWV 565 ; Toccata, Adagio et Fugue BWV 564 ; Fantaisie et Fugue BWV 542 ; Toccata et Fugue BWV 540 ; Toccata et Fugue « Dorique » BWV 538 ; Passacaille BWV 582. Bernard Foccroulle, orgue. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 72.00. Ricercar RIC 140. 

Ce CD tiré de l’intégrale de l’œuvre d’orgue de Bach parue en 2009 (un coffret Ricercar RIC 289 de 16 CD) reprend des gravures effectuées en octobre 1988 (BBWV 538 et 564), en mai 1990 (BWV 540), et en septembre 2008 (BWV 564, 565 et 582), successivement sur les orgues Schott de la Klosterkirche de Muri, commune suisse du canton d’Argovie, puis sur les Schnittger de la Ludgerikirche de Norden, ville allemande de Frise orientale et de la Martinikerk de Groningen, dans le nord des Pays-Bas. On ne s’étendra pas sur ces versions considérées comme des références, mais on rappellera les qualités manifestées par le brillant organiste. Le programme propose un éventail de pages célèbres et représentatives qui figuraient sur les CD n° VIII, IX et XII de l’intégrale citée. Servi par des prises de son superlatives, Bernard Foccroulle déploie tous les atouts de son jeu : rigueur, souplesse, solidité, art et vie du discours… Absolument superbe et indispensable ! 

Carlo FARINA (ca. 1600-1640) : Capriccio stravagante: Pavana III, Sonata La Desperata, Canzon La Marina, Sonata La Moretta, Balletto & Passamezzo à 3, Sonata La Farina, Capriccio Stravagante. Ensemble Clematis, direction Leonardo Garcia Alarcon. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 66.00. Ricercar RIC 139.

Cet enregistrement effectué en novembre 2008 dans l’église Saint-Jean l’Evangéliste de Beaufays est accompagné d’une abondante notice très documentée signée par Jérôme Lejeune. Au-delà de l’aspect artistique et musical, le label Ricercar apporte toujours une dimension pédagogique que l’on salue. C’est ainsi que l’on apprend que les données biographiques sur Carlo Farina sont très peu nombreuses ; Lejeune suppose qu’il a été formé à la cour de Mantoue et qu’il a pu être « ébloui par la personnalité de Monteverdi et ses recherches sur l’expressivité, l’émotion, la théâtralité et le stile concitato ». Il aurait dès lors transposé au violon les qualités découvertes chez l’auteur de L’Orfeo, Lejeune se mettant même à imaginer que Farina pourrait être né quelques années avant 1600 et aurait pu assister à la création de l’opéra. Ce qui subsiste de Farina, en réalité, ce sont cinq livres publiés entre 1626 et 1628 à Dresde où il a séjourné, des livres aux genres variés (pavanes, gaillardes, airs français, sonates…). Le présent CD propose huit pages, quatre extraites du Livre I, deux du Livre IV, une du Livre V et le Capriccio stravagante de 1626, issu du Livre II, composition la plus connue de Farina, « plusieurs fois enregistrée, et ce, depuis la découverte qu’en a proposée Nikolaus Harnoncourt et le Concentus Musicus de Vienne en 1968 ». On y trouve « une artillerie d’effets divers et déconcertants », comme des imitations d’instruments de musique et d’animaux. Les sonates portent un titre : « La Moretta », « La Desperata » ou « La Farina » (allusion autobiographique ?), soulignant cette expressivité qui ravit l’auditeur tout au long d’un parcours superbement joué, la violoniste Stéphanie de Failly se mettant souvent en évidence avec un archet rayonnant. Ce CD accorde une grande place au violon, mais il ne néglige pas non plus la basse de viole à laquelle des pièces sont confiées. On notera encore la présence d’une Pavane qui ouvre le programme avec sa riche écriture polyphonique et son inventivité, maître-mot qui peut résumer la démarche artistique de Farina. L’Ensemble Clematis –où Jérôme Lejeune lui-même est à la basse de viole, mené par Leonardo Garcia Alarcon, aussi à l’orgue et au virginal, est à saluer pour son investissement et pour sa précision.   

Giovanni Felice SANCES (ca. 1600-1679) : Motets à 1, 3 et 4 voix. Scherzi Musicali, direction Nicolas Achten. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 73.11. Ricercar RIC 141.

Cet enregistrement de juin 2009, en l’église de Sart-lez-Spa, apporte un éclairage bienvenu sur un compositeur peu documenté, né à Rome vers 1600, et dont le parcours passe par Padoue et Venise, où le premier opéra accessible au public, L’Ermiona, est de sa main. Il est ensuite à Vienne, à la Chapelle impériale comme ténor, sous trois empereurs successifs. Il en deviendra le Kapellmeister et sera anobli. Son œuvre se partage entre la musique profane et la musique sacrée, une partie de cette dernière rencontrant un grand succès, au point d’être jouée à la Chapelle impériale longtemps après sa disparition. Le programme du présent CD propose un choix de motets de son premier recueil, dédié à Ferdinand III, qui date de son arrivée à Vienne. La notice de Nicolas Achten signale l’importance du motet dans la vie musicale de la cité. Sances est un excellent mélodiste : « son harmonie est des plus naturelles, colorant un langage franchement moderne de quelques teintes modales ou de quelques délicieuses modulations inattendues ». Il veille à la clarté du texte et organise les idées musicales en fonction des paroles. Sur le plan vocal, son écriture « requiert une certaine agilité », lui-même ayant été un chanteur reconnu et apprécié pour la maîtrise de sa voix. Les motets présentés ici, une quinzaine, le sont dans des effectifs instrumentaux variés, avec une, trois ou quatre voix ; on retiendra notamment le délicat Dulcis amor Jesu pour baryton  et quatre instruments ou le très ornementé Magnificemus in cantico pour deux sopranos (Céline Viesl et et Marie De Roy) et une petite dizaine d’instruments. Les thèmes de Sances tournent autour de l’Eucharistie, du Christ en croix, de la dévotion à Marie ou de l’appel aux saints locaux, mais avec une dimension politique dans laquelle les catholiques sont protégés par Dieu et Jésus contre leurs ennemis. Un motet est issu du second recueil, le grave Stabat Mater dolorosa, son œuvre la plus connue, chantée par le même baryton (alors que la partition stipule qu’il est destiné à un castrat) accompagné par six instruments, la notice suggérant que Sances l’a peut-être lui-même interprété. Ce compositeur méconnu est une belle découverte, servie avec efficacité par les Scherzi Musicali qui forment un ensemble cohérent et complice. A signaler, la présence du ténor Reinhoud van Mechelen dans deux motets avec baryton (Nicolas Achten, puis Olivier Berten). 

Les pochettes intérieures des cinq CD sont enrichies de superbes illustrations centrales en couleurs, ce qui ajoute du plaisir visuel à la présentation très soignée de ces rééditions.

Note globale pour ces cinq CD : 10

Jean Lacroix

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