Singulière rencontre avec Hildegarde von Bingen, une dernière fois visitée par Maria Jonas

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Epistolae. Œuvres d’Hildegarde von Bingen (1098-1179). Ala Aurea. Maria Jonas, chant, tanbura. Susanne Ansorg, vièle, cloches, tanbura. Sebastian Pank, saxophone soprano. Bassem Hawar, djozé. Philipp Lamprecht, cloches. Ars choralis Coeln. Stefanie Brijoux, Sylvia Dörnemann, Pamela Petsch, schola. Octobre 2023. Livret en allemand, anglais ; paroles accessibles sur internet. 60’26’’. Raumklang RK 4304

Pour une présentation générale d’Hildegarde von Bingen, on se référera à l’article « La musique des sphères » de Jean-Marie Marchal paru dans nos colonnes en juillet 2020. Après un CD d’octobre 2008 intitulé In Festis Beatae Mariae Virginis puis un double-album consacré à l'Ordo Virtutum (2018), chez le même label Raumklang, le duo Ala Aurea se penche à nouveau sur l’abbesse du Rupertsberg, et s’inspire de son œuvre littéraire (Liber epistolarum) et musicale (Symphonia harmoniae caelestium revelationum). La notice précise que « les sons de ce CD permettent de découvrir de manière symphonique la vision d'Hildegarde : d'une part au sujet de l'histoire du salut et d'une Église accomplie en tant que communauté des saints, d'autre part concernant les relations humaines et les amitiés. Il est ainsi possible d'unir les dimensions célestes et terrestres à travers la musique et d'entrevoir le mystère d'Hildegarde, une personnalité extraordinaire. »

Un coffret comme celui que nous avions commenté en juin 2023, couvrant des enregistrements étalés sur une trentaine d’années par différents ensembles, illustre la variété d’approches poético-musicales que l’on peut entretenir sur ce fonds éloigné de presque neuf siècles. Des performances les plus sobres, à voix nue, jusqu’aux accoutrements les plus chargés et très probablement inauthentiques. L’instrumentarium ici convoqué par Ala Aurea et ses invités, incluant cordes de tradition indienne (tanbura) ou moyen-orientale (djozé), conduit à un paysage sonore contemplatif mâtiné d’influences folk. L’usage du saxophone se trouve parfois infatué par l’acoustique, au point de faire penser à un shofar. La schola de Cologne intervient dans un Kyrie revisité selon le rite copte, sans encore que l’on comprenne la raison de ce rapprochement, sauf à se déporter dans une mouvance crossover à la mode. On se souviendra qu’en 2012, Ars choralis Coeln mêlait déjà raga et vêpres mariales dans un CD sous étiquette Talanton.

On peut penser que de tels travestissements sont dispensables, voire contreproductifs, quand ils sursignifient ou dénaturent le contenu des textes dont l’expressivité se suffit. Pour en restituer la richesse, le génie intemporel, ne vaut-il mieux que l’interprète se laisse pénétrer par leur sens, leur sensualité mélodique intrinsèque, et tente de nous les communiquer par la sensibilité la plus pure, garante de connivence ? On pourra ainsi méditer ces propos de Barbara Thornton, émérite interprète de la Mystique rhénane : « d'après l'expérience que j'ai vécue avec la musique d'Hildegarde, je dirais que j'ai appris à ressentir de nouvelles choses et à me sentir à l'aise dans un nouvel univers. Ce que j’en savais auparavant ne m'avait pas préparée à la myriade de sentiments qui s'offraient à moi » (A Performer's Guide to Medieval Music, p. 286, Indiana University Press, Bloomington, 2000).

En l’occurrence, les moments les plus convaincants sont ceux qui s’accompagnent d’une simple vièle (O orzchis ecclesia, Hodie aperuit, O viriditas digiti dei…) ou s’auréolent d’une illumination de cloches (O felix anima). En tout cas, on écoutera la prestation vocale avec une indéniable émotion, dans la mesure où Maria Jonas nous a quittés en décembre dernier. Disparaissait avec la mezzo-soprano une chanteuse qui du Moyen-Âge jusqu’au Baroque laisse une discographie où son talent se prêtait avec curiosité aux répertoires anciens et particulièrement germaniques, à l’instar de ce recueil d’hymnes votives à l’orée du XVIe siècle (Les Maries du Rhin, Talanton, 2013).

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 7 – Répertoire & Interprétation : in memoriam

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