Hayato Sumino : un pianiste hors des sentiers battus

par

Le 7 novembre, la Salle Gaveau vibrait d’une ambiance particulière. Une partie du public, jeune, semble être attiré par « Cateen », son nom de Youtuber aux millions de vues, plutôt que d’écouter Hayato Sumino, le pianiste de musique classique. Mais ce soir-là, Sumino s’éloigne de ses habitudes. Contrairement à ses récitals habituels, où il est accompagné de plusieurs claviers et d’une sonorisation tout comme ses deux derniers concerts parisiens au Théâtre de l’Œuvre et à La Scala Paris, il s’est présenté seul avec un piano de concert.

Le programme, à l’image de son éclectisme, alternait chefs-d'œuvre du répertoire et créations personnelles. Entre la Fantaisie chromatique de Bach et la Sonate K 331 « Alla Turca » de Mozart, Sumino a intégré ses propres compositions et arrangements, comme An American in Paris de Gershwin.

Dans Bach, Sumino se distingue par une clarté des plans sonores et des ornements d’une élégance aérienne. Une même finesse se retrouve dans Mozart, où il introduit discrètement quelques variations au fil des trois mouvements. La célèbre Marche Turque est rehaussée d’accords arpégés à la fois énergiques et légers à la main gauche, évoquant une « turquerie » vivante. L’ensemble des mouvements est enchaîné sans pause, tel un flux continu.

Entre ces œuvres, il propose Human Universe, également le titre de son dernier album qui vient juste de sortir chez Sony Classical. Cette œuvre, emblématique de son style éclectique, débute par un thème néo-baroque délicatement orné, qui installe une ambiance apaisante. Progressivement, la musique s’anime, empruntant des accents jazz, pop ou même électro. Ce parcours musical sans cesse renouvelé, se conclut sur le retour au thème initial, offrant une sensation de repos originel. Suit un arrangement simple et émouvant de In Paradisum du Requiem de Fauré, renforçant la diversité de son style.

La deuxième partie du récital débute avec les Variations sur le thème de la Marche Turque, où Sumino brille par son originalité. Plutôt que de suivre la structure classique des variations, il opte pour une suite continue de modulations à travers les 24 tonalités, empreinte de touches bluesy et jazzy. Pendant sept minutes, il donne l’impression d’une improvisation fluide, rompant avec le traditionnel cycle des quintes ou l’alternance entre les tonalités majeures et mineures. Par exemple, les transitions entre les variations 4 et 9 parcouraient un chemin inattendu : de la majeur à ut majeur, en passant par fa dièse mineur, fa dièse majeur, ré dièse mineur, si majeur, et ré majeur. Certaines variations ne sont en réalité que de brefs passages transitoires, renforçant l’idée d’un flux musical ininterrompu comme dans la Sonate de Mozart. 

Ensuite, Sumino offre un moment introspectif avec trois Nocturnes de sa composition. Ces pièces, davantage méditatives que virtuoses, apportent une parenthèse rêveuse au concert.

Le récital se termine avec son arrangement d’An American in Paris. L’introduction d’un mélodica pour imiter le timbre d’une trompette (en partie en sourdine) dans un passage lent, ajoutant une texture inattendue à la sonorité somme toute uniforme du piano. La répartition des plans sonores, déjà perceptible dans son interprétation de Bach, est encore plus évidente, rendant vivant chaque pupitre de l’orchestre.

En bis, après une sorte de ragtime et une chanson, un extrait du Boléro de Ravel, toujours dans sa propre transcription, est un autre moment fort du récital. Avec une maîtrise technique impressionnante et une créativité qui respecte scrupuleusement l’intention orchestrale du compositeur, Sumino a su maintenir l’énergie de cette œuvre emblématique, clôturant son récital sur une note triomphale.

Paris, Salle Gaveau, le 7 novembre 2024

crédit photographique © Yuka Yamaji

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.