Henri Bertini et sa musique de chambre en dents de scie

par

Henri Bertini (1798-1876) : Nonetto op. 107 en ré majeur ; Grand Trio pour piano, violon et violoncelle op. 43 en la majeur. Linos Ensemble. 2020. Notice en allemand et en anglais. 70.17. CD CPO 555 363-2. 

Compositeur méconnu, Henri Bertini naît à Londres où sa famille réside provisoirement en raison de la Révolution française, mais cette dernière se réinstalle à Paris alors qu’il est à peine âgé de six mois. Henri reçoit un enseignement musical de son père, élève de Muzio Clementi. Très doué pour le piano, il est entraîné dans une tournée de concerts dès l’âge de douze ans : il va se produire aux Pays-Bas, en Belgique où il impressionne François-Joseph Fétis, et en Allemagne. Il poursuit ses études à Paris, puis en Angleterre. Marié dès 1815 et déjà père, il est appelé en 1820 à donner des leçons de piano à Bruxelles, mais doit y subir l’échec de son opéra-comique en un acte Le jaloux dupé, lors de sa création à la Monnaie le 16 avril de la même année. On le retrouve dès l’année suivante à Paris où il entame, tout en composant, une carrière de virtuose, son jeu clair étant apprécié pour sa qualité, notamment par un Berlioz admiratif.

Il se produit avec Franz Liszt lors d’un concert en 1828 au cours duquel est donnée sa transcription pour huit mains de la Symphonie n° 7 de Beethoven. Bientôt, il devient un partenaire régulier du violoniste Antoine Fontaine (1787-1866) et du violoncelliste Auguste-Joseph Franchomme (1808-1884). Sa carrière se prolonge jusqu’en 1859, date à laquelle il décide de quitter la vie active et se retire à Meylan, près de Grenoble, où il décèdera. Pédagogue apprécié, il laisse derrière lui des méthodes techniques pour le clavier, un très grand nombre d’études aux difficultés variables, ainsi qu’un arrangement pour quatre mains du Clavier bien tempéré de Bach. Son catalogue de compositeur comprend beaucoup de musique de chambre et des pièces pour le piano. On se souviendra d’un disque MDG du Sestetto Classico des années 1980, avec son Quintette op. 87 et son Grand Sextuor op. 90. Le pianiste Thomas Fischer a par ailleurs gravé sa transcription d’un air de Donizetti dans un récital dédié aux arrangements d’opéra (Naxos, 2008). Cet enregistrement vient donc attirer l’attention sur cette figure oubliée, dont la notice évoque de façon détaillée l’existence qui ne fut pas des plus heureuses sur le plan personnel ou conjugal. Il eut en effet la douleur de perdre sa première épouse en 1830, la seconde en 1848. 

Le programme propose deux partitions de la seconde moitié des années 1830. Le Trio pour piano, violon, violoncelle et piano date de 1836. Un avis, émis à la fin de cette année-là et reproduit dans la notice, ne lui est guère favorable ; il émane de Robert Schumann qui estime qu’Henri Bertini y met beaucoup trop d’emphase, que les mouvements, excepté le Scherzo, auraient pu être raccourcis. Ce que conteste l’auteur de la présentation, considérant, après plusieurs écoutes, que cette réflexion manque de pertinence. Nous rejoindrons cependant Schumann dans le fait que le développement des quatre mouvements est quelque peu bavard. Si l’Allegro initial comporte l’un ou l’autre passage de jolis échanges entre les solistes, il faut attendre l’Andante pour considérer que l’inspiration de Bertini mérite plus qu’un intérêt relatif, avec des impulsions expressives qui se poursuivront dans un Menuet rappelant Haydn et Schubert, avant un Rondo au souffle court. Les interprètes (Konstanze Eickhorst au piano, Winfried Rademacher au violon et Mario Blaumer au violoncelle) servent au mieux une page dispensable que la prise de son, quelque peu métallique, n’avantage pas tout à fait.

Plus intéressant, malgré le même regret technique, nous apparaît le Nonetto pour flûte, hautbois, basson, cor, trompette, alto, violoncelle, contrebasse et piano, qui fut donné à Paris en 1838 et nous vaut un commentaire plus élogieux d’Hector Berlioz dans la Revue et Gazette musicale du 20 mai de cette année-là. Le compositeur de la Symphonie fantastique loue le second mouvement, un Lento con tranquilezza sous-titré La mélancolie, en particulier pour sa majesté et une sombre grandeur, auxquelles nous ajouterons la fluidité et la finesse d’un violoncelle bien lyrique. Il est précédé par un Allegro vivace qui met en évidence la verdeur des vents. Le troisième mouvement est un Prestissimo aux rythmes alertes, l’œuvre se terminant par un Allegro énergique. L’engagement et l’ardeur déployée par les neuf instrumentistes ne peuvent malgré tout cacher que le métier de Bertini l’emporte sur la réelle inspiration. On classera donc ce CD au rayon des raretés et des curiosités, mais pas à celui des priorités chambristes. 

Le Linos Ensemble a été fondé en 1977 sur la base d’un groupe de cinq vents, cinq cordes et un piano. Ces musiciens allemands se sont attachés à un répertoire qui s’étend de Bach à Stockhausen, souvent peu courant. Aux côtés de Mozart, Mahler, Reger ou Poulenc, leur discographie (une vingtaine d’albums chez Capriccio ou CPO) propose notamment des œuvres de Franz Schmidt, Carl Reinecke, Louise Farrenc, Arnold Krug ou Alexander Ernst Fesca. Le présent programme, qui est, sauf erreur, une première discographique, vient s’ajouter à la liste de ces méconnus de la musique qui nourrit la spécificité du Linos Ensemble.

Son : 8  Notice : 10  Répertoire : 7  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

  

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