Zubin Mehta à Londres : couleurs et luxuriances
Richard Strauss (1864-1949) : Symphonia Domestica ; Nikolai Rimsky-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade, Op.35. London Philharmonic Orchestra, Zubin Mehta. London Philharmonic Orchestra, Zubin Mehta. 1988 et 1992. Livret en anglais. 89’42’’. 2 CD LPO 0117.
Zubin Mehta n’est pas un chef que l’on rattache naturellement à la vie musicale londonienne. Pourtant l’artiste indien est un habitué du London Philharmonic Orchestra avec lequel il a gravé quelques enregistrements pour RCA, Decca, Teldec ou EMI. La récente parution d’un coffret Decca nous a rappelé quel démiurge des podiums il était à ses débuts avant que ce musicien surdoué ne s’enferre dans une routine discographique confortable et grassouillette dont témoignent nombre d’enregistrements avec le New York Philharmonic (Sony). Pourtant, au concert, Mehta reste un chef capable de galvaniser un orchestre et de chauffer à blanc les pupitres dans une luxuriance sonore époustouflante. C’est ce souffle qui traversa le Royal Festival Hall de Londres lors de ces soirées de 1988 et 1992 que le label LPO nous offre avec cette parution.
Oeuvre passablement autographique, mégalomaniaque et narcissique, la Symphonia Domestica de Richard Strauss donne dans le grandiloquent avec un effectif instrumental énorme dont émergent 4 saxophones et 8 cors ! Mehta a toujours aimé cette oeuvre taillée pour un virtuose de la baguette dont il laisse deux excellentes gravures officielles avec le Los Angeles Philharmonic (Decca) et les Berliner Philharmoniker (Sony). Au pupitre des Londoniens, il donne une lecture virtuose et contrastée portée par un orchestre, certes moins cliniquement parfait que les Californiens ou les Berlinois, mais qui vit cette musique dirigée par un titan des podiums qui joue de l’orchestre sans réserve.
On reste dans la transe collective avec une lecture luxuriante de Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, autre grande spécialité du chef dont c’est ici la quatrième gravure au disque. Mehta mène l’orchestre dans une veine spectaculaire mais jamais débraillée avec des musiciens conquérants et concentrés. Les tempi très allants renforcent une narration en technicolor jubilatoire.
En ces temps sombres, cette parution qui met à l’honneur des artistes heureux de faire de la musique au plus haut niveau dans une transe communicative est une grande satisfaction. Pour la Symphonia Domestica, on tient ici l’un des sommets absolu de la discographie et pour Shéhérazade, c’est l’un des plus beaux concerts captés avec cette partition de parade aux côtés de ceux de Sergiu Celibidache à Munich (Warner) ou Stuttgart (DGG).
Pierre-Jean Tribot
Son : 9 - Livret : 8 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10