Idomeneo, Re di Creta à Aix : colossal et mythologique, mais ?

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La production aixoise de cet opéra de Mozart suscite une réflexion bienvenue nourrie de l’expérience concrète vécue dans ce lieu mythique qu’est l’Archevêché. Pour Satoshi Miyagi, le metteur en scène japonais, le théâtre moderne s’est enfermé dans une impasse en faisant des personnages et de leurs interprètes des êtres « grandeur nature », « de la même taille que le spectateur dans la salle ». On est dans « le fait-divers », on ne peut plus avoir « un point de vue ʺdivinʺ sur l’œuvre, sur l’ordre du monde, sur les questions de savoir comment l’Histoire s’est faite ». L’opera seria de Mozart lui a semblé particulièrement bienvenu pour nous reconfronter « au colossal et au mythologique ».

Troie a été détruite. Ilia, princesse troyenne, est recluse chez l’un des vainqueurs, Idoménée, roi de Crète. Elle aime Idamante, son fils. On annonce la mort d’Idoménée. Leur amour serait donc possible ? Sauf qu’Idoménée a survécu parce qu’il a promis aux dieux de sacrifier la première personne qu’il rencontrerait. Ce sera son fils ! Qu’Elettra, jalouse d’Ilia, aime aussi. Tout va évidemment se compliquer… 

Les héros que découvre le spectateur lui apparaissent juchés sur des sortes de hautes tribunes en triangle, aux parois comme tissées en fils d’araignées, mus par des êtres humains qui y sont enfermés. Des héros donc qui, comme posés sur des colonnes, ont retrouvé une dimension « colossale et mythologique ». Ainsi perchés, ils vont s’affronter, sans presque jamais se regarder : c’est aux dieux qu’ils rendent des comptes. Quant aux « hommes de peine », ils sont en quelque sorte la commune humanité, celle qui est sempiternellement la victime des conflits, des décisions de ces « grands »-là. 

Pareille conception évite évidemment au spectateur les distractions occasionnées par tant de mises en scène qui privilégient les yeux aux oreilles. On entend exactement ce que l’on doit entendre. Magnifiquement mis en évidence, et de plus magnifiquement éclairé. Des éclairages et des jeux d’ombres qui donnent à apercevoir, en « ombres japonaises » (en l’occurrence), le peuple d’en bas. Qui peut aussi apparaître comme la vérité déniée, comme l’inconscient refoulé de ceux qui trônent. 

Tout cela est très beau, mais si cérémonial, si hiératique, si systématique. Excluant les émotions, celles qui déchirent pourtant ceux-là qui, pour être « héroïques », n’en sont pas moins des êtres humains de chair et d’humeurs.

Idomeneo (imposant Michael Spyres), Idamante (remarquablement expressive Anna Bonitatibus) et Ilia (éthérée Sabine Devieilhe) sont les « héros suspendus », visiblement contraints par les choix du metteur en scène. Elletra, elle, qui n’est pas sur une colonne, est une femme en révolte, proche en cela des « enfermés d’en bas ». Une femme de chair -« de la même taille que nous », pour reprendre les propos du metteur en scène- qui crie, qui hurle ses émotions et ses colères. Nicole Chevalier l’intensifie dans toute son humanité « ordinaire ». Quant à Raphaël Pichon, il donne lui aussi souvent l’impression qu’il retient son magnifique orchestre Pygmalion, qu’il le maintient à une hauteur « mythologique », sinon dans les déferlements d’Elettra. Le Chœur de l’Opéra de Lyon fait très bien entendre les voix d’en bas.

Cet Idomeneo est donc une très belle cérémonie, mais à laquelle nous assistons sans pouvoir vraiment nous y associer. Spectateurs d’en bas ?

Stéphane Gilbart

Festival d’Aix-en-Provence, Palais de l’Archevêché, le 6 juillet 2022 

Crédits photographiques  : Jean-Louis Fernandez

 

 

 

 

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