Il Tamerlano de Vivaldi ? Un séduisant pastiche

par

Antonio Vivaldi (1678-1741) : Il Tamerlano, tragédie musicale en trois actes. Bruno Taddia (Bajazet), Filippo Mineccia (Tamerlano), Delphine Galou (Asteria), Sophie Rennert (Irene), Marina De Liso (Andronico), Arianna Vendittelli (Idaspe) ; Accademia Bizantina, direction Ottavio Dantone. 2020. Notice en français, italien, anglais et allemand. Texte du livret en italien, avec traduction en français et en anglais. 155.36. Un coffret de 3 CD Naïve OP 7080.

Ce pasticcio, musica di autori diversi a été créé lors du Carnaval de Vérone en 1735, sur un livret du poète vénitien Agostino Gaetano Pievone (1671-1733). Vivaldi a utilisé, pour ce pastiche assumé, des airs de huit de ses œuvres, mais il a fait aussi des emprunts adroits à des partitions de Geminiano Giacomelli, Johann Adolph Hasse, Riccardo Broschi, le frère aîné de Farinelli, et Nicolo Porpora. On lira les détails de cette construction dans la notice bien documentée de ce coffret de trois CD, 65e volume d’une Edition Vivaldi qui nous a déjà valu quelques merveilles, dont des œuvres théâtrales comme Orlando furioso, Tito Manlio ou Farnace. Il y a une bonne dizaine d’années, le label Virgin Classics proposait un Bajazet, autre titre pour l’opéra, avec un plateau alléchant : Ildebrando d’Arcangelo, David Daniels, Vivica Genaux, Patrizia Ciofi, Marjana Mijanovic et Elina Garanca, avec l’Europa Galante dirigé par Fabio Biondi. Pour cet enregistrement Naïve réalisé en studio en février 2020, une nouvelle édition critique, établie par Bernardo Ticci en 2019, a été choisie. 

Avant Vivaldi, Tamerlano avait déjà fait l’objet d’autres productions lyriques, notamment celles d’Alessandro Scarlatti en 1706, Francesco Gasparini en 1711 ou Haendel en 1724. Le sujet, qui inspira Racine en 1672, trouve son origine dans l’histoire de Bajazet, sultan ottoman du XIVe siècle fait prisonnier par le guerrier turco-mongol Tamerlan et mort en captivité. Dans l’action musicale, Bajazet, vaincu, a l’intention de se suicider et demande au prince grec Andronico de veiller sur sa fille Asteria. Les deux jeunes gens s’aiment. Mais Tamerlan veut épouser Asteria et charge Andronico d’en faire part à Bajazet. Le vainqueur provoque ainsi la colère d’Irene, la princesse de Trébizonde qui lui était promise. Bajazet pense qu’Asteria approuve sa future union avec Tamerlan ; il se trompe : elle va essayer de tuer ce dernier, mais y échoue. Père et fille sont jetés au cachot et projettent de mourir par le poison. Andronico avoue alors son amour pour Asteria, provoquant la fureur de Tamerlan. Pour humilier la jeune femme, le tyran l’oblige à servir à table, comme une servante. Asteria en profite pour verser du poison à Tamerlan, mais elle est dénoncée par Irene. L’opéra se termine par le suicide de Bajazet, le mariage de Tamerlan avec Irene et l’union d’Asteria et Andronico, auxquels Tamerlan accorde son pardon (d’après Sylvie Mamy, Vivaldi, Paris, Fayard, 2011, p. 592). Chez le compositeur, les « méchants » (Tamerlan, Irene, Andronico) héritent des airs qu’il emprunte à ses collègues, les « bons » (Bajazet, Asteria), de ceux qui ont été écrits spécifiquement par le Prêtre roux. Idée astucieuse s’il en est, qui permet à Vivaldi de « recycler » des passages de créations antérieures comme Semiramide ou Farnace, mais aussi d’écrire les récitatifs, presque tous de sa main, ainsi que la Sinfonia, le grand quatuor qui conclut l’acte II et le chœur final, comme le précise la notice instructive de Reinhardt Strohm.

Tamerlano est une œuvre plaisante qui, nonobstant le contexte historique tragique, contient des moments exaltants. On saluera la prestation de l’Accademia Bizantina, capable de nuances subtiles, de couleurs vives et d’équilibre entre les moments rythmiques et les fluidités instrumentales. Ottavio Dantone, auquel ont été confiés d’autres volumes de l’Edition Vivaldi, sait doser le lyrisme et soutenir le plateau vocal dont la qualité est évidente malgré l’une ou l’autre imperfection. Dans le rôle de Tamerlan, on retrouve le contreténor Filippo Mineccia dont nous avons récemment présenté un remarquable récital consacré au thème d’Orlando avec le New Baroque Times chez Glossa. Sa voix sombre, puissante et incisive confirme un tempérament et sert à merveille ce personnage fort. Chacune de ses interventions est un régal. Il suffit d’écouter, à l’acte II, son air Cruda sorte, avverso fato, pour s’en convaincre. A ses côtés, le Bajazet du baryton Bruno Taddia déploie une belle ampleur, même si celle-ci n’est pas toujours égale et si certains graves sont un peu esquivés. La contralto Delphine Galou donne au personnage d Asteria des traits torturés, entre son amour pour Andronico (incarné par la sensible Marina De Liso) et son désir de vengeance. Elle est très émouvante dans son air de l’acte I Amare un’alma ingrata, et trouve les accents les plus authentiques pour exprimer le fait qu’Aimer une âme ingrate/Est une affreuse peine/Qui ne laisse au cœur nulle paix. La mezzo Sophie Rennert (Irene) se révèle séductrice, alors que la soprano Arianna Vendittelli, dans le rôle secondaire d’Idaspe, est riche d’un timbre éloquent. 

Une belle distribution donc, qui donne à la partition de Vivaldi vigueur et dynamisme. La réussite de cette édition est double : une traduction orchestrale qui crée un véritable espace théâtral et un plateau vocal qui s’inscrit dans le projet avec justesse et engagement. On soulignera la qualité sonore de l’enregistrement qui rend justice au chant et à la palette instrumentale.

Note globale : 9

Jean Lacroix

 

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