Richard Strauss et Édouard Lalo, un couplage inattendu, mais attractif

par https://www.crescendo-magazine.be/dating-your-best-friends-little-sister/

Tides of Dance. Richard Strauss (1864-1949) : Concerto pour violon et orchestre en ré mineur op. 8. Édouard Lalo (1823-1892) : Symphonie espagnole pour violon et orchestre en ré mineur op. 21. Franziska Pietsch, violon ; Orquesta Ciudad de Granada, direction Jonathan Pasternack. 2025. Notice en espagnol, en anglais et en allemand. 64’ 54’’. Aria Classics 020.

La violoniste allemande Franziska Pietsch (°1979) est née à Halle-sur-Saale, cité universitaire de l’est du pays, qui peut se targuer d’avoir vu naître Haendel en 1685. Elle a débuté sa formation à la Hochschule für Musik « Hanns Eisler » de Berlin, avant de la poursuivre à Karlsruhe, auprès de Ulf Hoelscher, à Hanovre et à la Juilliard School de New York. Au-delà d’une carrière de soliste et de chambriste, dont attestent plusieurs enregistrements pour Teldec ou Audite, elle a occupé le poste de premier violon de l’Orchestre symphonique de Wuppertal, de la Philharmonie de Luxembourg, des phalanges des opéras de Düsseldorf et de Francfort, et de la WDR de Cologne. Elle propose, sous l’intitulé Tides of Dance (littéralement Marées de Danse) un programme au couplage inhabituel, réunissant Richard Strauss et Lalo dans des pages concertantes pour le violon. Élève d’Ulf Hoelscher (°1942) ? Est-ce pour cette raison qu’elle a choisi le concerto de jeunesse de Richard Strauss, dont son professeur a laissé une gravure de référence en 1976 avec la Staatskapelle de Dresde dirigée par Rudolf Kempe (dans un coffret Warner de 9 CD, réédité en 2019) ? Quoiqu’il en soit, cette décision se révèle judicieuse.

Richard Strauss achève son concerto le 22 mars 1882, alors qu’il est encore étudiant. Il sera créé de deux manières. La première, le 5 décembre, par le virtuose Benno Walter (1847-1901), avec piano seul, Strauss étant au clavier. La version avec orchestre sera jouée par le même soliste à Cologne, en mars 1890, sous la direction de Franz Wüllner (1832-1902), avant que Strauss la dirige lui-même à Leipzig six ans plus tard, avec, cette fois, Alfred Krasselt (1872-1908) au violon. Le compositeur n’était pas vraiment heureux de sa partition, estimant qu’après Brahms, il n’aurait jamais dû envisager de l’écrire. Son audition procure cependant bien des moments de plaisir, car l’œuvre, de forme classique et de tradition romantique, révèle déjà une vraie capacité de souligner les couleurs orchestrales, qui annoncent celles des futures grandes partitions, et d’accorder au violon une virtuosité chaleureuse, des nuances mélancoliques et une touchante et intime expressivité, notamment dans le Lento ma non troppo, puis dans un final au cours duquel la soliste peut laisser libre cours à un brillant lyrisme. 

Sur son violon milanais Carlo Antonio Testore de 1751, Franzeska Pietsch livre une version claire, engagée et pleine de finesse. L’Orchestre de Grenade, qui a été fondé en 1990 et a été dirigé notamment par Josep Pons ou Jean-Jacques Kantorow, a, depuis 2020, Lucas Macías comme directeur musical. Ici, c’est l’Américain Johann Pasternack, titulaire de l’Orchestre symphonique de Port Angeles, dans l’état de New York, qui tient la baguette, avec une aisance qui souligne bien le côté poétique du concerto. Depuis le début de notre siècle, Sarah Chang, avec Wolfgang Sawallisch à Munich (Warner, 2000), ou Arabella Steinbacher, avec Lawrence Foster à Cologne (Pentatone, 2018), en ont laissé de belles versions, que celle de Franziska Pietzsch égale aisément.  

C’est sans doute dans l’engagement émotionnel dont la soliste fait preuve qu’il faut chercher le choix de la Symphonie espagnole de Lalo, comme elle l’explique elle-même dans la notice. Les cinq mouvements de cette partition lumineuse créée en 1875 par Pablo de Sarasate, qui est plus une suite symphonique avec violon en liberté qu’un véritable concerto, sont nourris d’exotisme ; ils peuvent ne se limiter qu’à cela, ou à des effets techniques que l’interprète lui impose. Ce n’est pas le cas : une profondeur, mesurée et décantée, s’installe ici dès l’Allegro non troppo, sans excès orchestral, mais dans un climat sincère d’émotion et de respiration naturelle, prolongé dans un superbe Scherzando qui paraît presque improvisé. L’esprit hispanisant est respecté dans l’Intermezzo, avec ses envolées raffinées, avant un Andante sensible, très chantant. Le final est revêtu de toute la brillance maîtrisée qu’il appelle. 

Très belle version de Franziska Pietsch, élégante et sobre, sans sentimentalisme, avec une hauteur de vue que l’orchestre et son chef développent de la même manière.  En bout de course, on approuve le choix du couplage, dicté par la volonté d’une expressivité dominante. Cette gravure de la Symphonie espagnole prend en tout cas une place de choix au sein de la très nombreuse discographie de qualité que la partition a suscitée.

Son : 9    Notice : 9    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

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