J.C.F. Fischer, une quasi-intégrale sur le somptueux clavecin du Musée Unterlinden

par

Johann Caspar Ferdinand Fischer (1662-1746) : Musicalischer Parnassus ; Les Pièces de Clavessin / Musicalisches Blumen-Büschlein. Peter Waldner, clavecin. Avril 2023. Livret en anglais, allemand. TT 75’38 + 68’34. Tastenfreuden 14

En mars 1979, point d’orgue d’une décennie qui vit la redécouverte de J.C.F. Fischer, William Christie lui consacrait un récital pour les micros d’Harmonia Mundi. L’experte notice du présent double-album retrace quelques jalons musicologiques contribuant à la connaissance de ce compositeur qui pendant un demi-siècle resta attaché à la Cour du Margrave de Baden. On l’a longtemps cru né en 1656, mais une minutieuse exploration des registres baptismaux situerait son berceau plutôt en 1662 à Schlackenwerth, ce qui restreint une longévité au demeurant enviable. Il s’éteignit en 1756 dans le château de Rastatt, construit sur le modèle versaillais.

Sans qu’on ait pu précisément contextualiser l’influence française sur son œuvre (apprit-il dans l’entourage lullyste lors d’un voyage d’étude ?), Fischer était au faîte de l’art musical du voisin royaume du Roi Soleil. En attestent les « Pièces de Clavessin » (1696), semblablement titrées que le recueil de Jean-Henry d’Anglebert paru peu avant, et précédées d’instructions d’ornementation. Cette anthologie de six Suites fut aussitôt publiée à Augsbourg sous l’appellation Musicalisches Blumen-Büschlein. En attestent aussi le nom français des muses qui inspirent le Musicalischer Parnassus de 1738, la désignation des danses nobles (Courante, Sarabande, Menuet, Gigue, Bourrée…) ou d’origine populaire (Branle de la Suite FWV 12), les formes sur basse obstinée (Chaconne dont celle d’Euterpe en rythme pointé, Passacaglia).

Avec les Préludes, Fugues et Ricercare de Ariadne Musica (1702) et Musikalischer Blumenstrauss (1732), conçus pour l’orgue, le Parnassus et le Blumen-Büschlein constituent tout ce que Fischer légua au clavier. Siegbert Rampe (Virgin), Mitzi Meyerson (MDG), Olga Martynova (Caro Mitis), Tony Millan (Brilliant), Elisabeth Joyé (L’Encelade) se sont avantageusement penchés sur l’un ou l’autre de ces recueils. Ce quatorzième opus de la collection Tastenfreunden rassemble les neuf muses, et trois des six Suites de 1696-1698, abordées sur le célèbre clavecin de Colmar, qui fête en 2024 son quatre-centième anniversaire. Recordé en 2016, cet instrument de Ioannes Ruckers (1578-1642) expose son bouquet d’arômes complexe, mais surtout une chaleur de timbres que sa précédente discographie ne lui a pas toujours associé.

Peter Waldner trouve la juste voie entre rigueur de la construction et sensibilité, entre caractérisation et fluidité du phrasé. À la fois piquant et suggestif, le Rigaudon d’Uranie prodigue un des multiples exemples de cette interprétation parfaitement équilibrée entre tension du discours et souplesse de la manière. Suffisamment d’autorité pour servir la hauteur du propos, suffisamment de douceur pour laisser s’épanouir la ligne de chant. On appréciera aussi les registrations judicieuses, parfois délicieusement inventives : les tessitures filigranées des Canaries de la Suite II, le jeu luthé qui s’invite dans l’Allemande de la Suite VI. Réalisée au Musée Unterlinden où est conservé cet historique clavecin, une captation dense et aérée en flatte la somptueuse sonorité.

Unique regret, péchons par gourmandise : dommage qu’un volet supplémentaire de ce digipack ne nous offre pas les trois Suites qui auraient bouclé une intégrale du Musicalisches Blumen-Büschlein. Quoi qu’il en soit, cette parution fait date dans la valorisation de cet influent répertoire qui contribua à importer les grâces du Grand Siècle dans le cossu pays de Bade, et à les faire rayonner dans toute l’Allemagne de l’époque. Bach l’admirait, -il existe plus vil hommage. Et Peter Waldner l’honore, en hissant désormais haut la barre.

Christophe Steyne

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

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