Jean-Luc Tingaud signe un bel éventail de pages orchestrales de Fauré
Gabriel Fauré (1845-1924) : Pénélope : Prélude ; Concerto pour violon op. 14 : Allegro ; Berceuse, op. 16 ; Élégie op. 24 ; Romance en si bémol majeur, op. 28, orchestration Philippe Gaubert ; Fantaisie op. 79, orchestration Louis Aubert ; Dolly, op. 56, pour piano à quatre mains, orchestration Henri Rabaud. Pierre Fouchenneret, violon ; Martin Johnson, violoncelle ; Catriona Ryan, flûte ; National Symphony Orchestra of Ireland, direction Jean-Luc Tingaud. 2023/24. Notice en anglais. 59’ 48’’. Naxos 8. 574587.
Si la célébration du centenaire de la disparition de Gabriel Fauré touche à sa fin, elle réserve encore des moments intéressants, comme le présent album, kaléidoscope de pages orchestrales. Jean-Luc Tingaud (°1969), élève de Manuel Rosenthal et familier des scènes d’opéras en France, dans plusieurs pays européens et aux États-Unis, a signé pour Naxos, à la tête de plusieurs formations, des gravures de musique française (Dukas, Bizet, d’Indy, Massenet, Poulenc, symphonies de Chausson et de Franck), dont certaines ont été chaleureusement accueillies dans nos colonnes. Cette fois, le chef français propose sept partitions fauréennes, trois d’entre elles ayant fait l’objet d’orchestrations par d’autres compositeurs. Le résultat, finement ouvragé, se révèle séduisant.
Le Prélude de Pénélope (1913) inaugure le programme. Tingaud a déjà dirigé cet opéra en 2005 au Festival de Wexford où il le reprendra en octobre de l’an prochain. On sent sa familiarité avec les accents passionnés de l’héroïne séparée d’Ulysse, entre cordes plaintives et trompette qui symbolise l’absent, dans un contexte plein de noblesse. Suivent trois pages au sein desquelles le violon est le maître atout ; elles permettent au Niçois Pierre Fouchenneret (°1985) de déployer la pureté d’un jeu subtil. Celui-ci traverse le premier mouvement du Concerto pour violon op. 14 (1878-79), qui demeurera inachevé, mais dont Fauré reprendra des thèmes dans son Quatuor de fin de vie. L’œuvre était destinée à un ami, le Belge Ovide Musin (1854-1929), dont il avait fait la connaissance à Paris lorsque ce violoniste suivait les cours d’un autre Belge, Hubert Léonard. D’une grande finesse mélodique, dans un langage encore romantique, au sein duquel le soliste dialogue avec les bois, cet Allegro fut créé par Musin en 1880, sous la direction d’Edouard Colonne.
La courte Berceuse op. 16, qui date de la même période que le Concerto inachevé, était destinée au violon et au piano, Fauré et Musin la créant avant que le compositeur ne l’orchestre et qu’Eugène Ysaÿe ne l’enregistre dès 1912. Quant à la Romance op. 28 (1877), autre page brève, elle aussi pour violon et piano, elle se rattache au romantisme à la manière de Schumann. Composée lors d’un séjour dans la région natale de Fauré, elle s’inspirerait des contours montagneux des lieux, selon une lettre du compositeur. Le flûtiste et chef d’orchestre Philippe Gaubert (1879-1941) l’orchestrera en 1913. La complicité entre Fouchenneret et les pupitres de la formation irlandaise dirigée par Tingaud, est manifeste dans ces pages qui éclairent une aimable facette de l’art empreint de lyrisme du compositeur.
L’Élégie op. 24 (1880, orchestrée en 1901), qui aurait dû être le mouvement lent d’une sonate, est l’une des pages célébrissimes de Fauré. Le violoncelliste anglais Martin Johnson, qui fait partie de l’orchestre irlandais, évite le pathos, tout en soulignant sobrement l’émotion que d’autres ont parfois exagérée. La Fantaisie op. 79 (1898) pour flûte et piano, destinée au virtuose Claude Paul Taffanel (1844-1908), a été orchestrée en 1957 par Louis Aubert (1877-1968), qui fut un élève de Fauré. C’est la version que l’on entend ici, servie par une soliste issue, elle aussi, de l’orchestre, Catriona Ryan, qui en dessine les élégants volutes.
L’album s’achève avec l’orchestration de 1906 par Henri Rabaud (1873-1949) des six pièces pour piano à quatre mains de la suite Dolly, qui datent du milieu des années 1890 et ont été écrites pour Hélène, qui portait le joli surnom qui sert de titre à l’ensemble ; elle était la fille de la cantatrice Emma Bardac, avec laquelle Fauré eut une liaison et qui épousera Debussy en 1908. Un bouquet final plein de spontanéité, d’inspiration mélodique, de lyrisme tendre et d’émouvante expansion, que Tingaud et ses musiciens irlandais font irradier pour conclure ce bel hommage orchestral à Fauré.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix