Paavo Järvi à Brême : un parcours inégal au sein des symphonies londoniennes de Haydn
Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonies n° 94 en sol majeur, n° 95 en do mineur, n° 98 en si bémol majeur et n° 99 en mi bémol majeur. Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, direction Paavo Järvi. 2021. Notice en anglais et en allemand. 95’ 34’’. Sony 19802 86185 2.
En cette année 2024, le très actif chef estonien Paavo Järvi a célébré ses vingt ans de direction artistique à la tête de la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême avec un projet autour des symphonies londoniennes de Haydn dont un premier volume avait fait l’objet de réserves. Voici le second volume de la série, qui propose quatre autres partitions.
Paavo Järvi estime que l’interprétation de Haydn devait se situer dans un juste milieu, entre versions historiques informées et formations traditionnelles. C’est cette optique du « juste milieu » qu’il adopte pour son approche, rodée avec ses musiciens brêmois par plusieurs concerts, avant passage par le studio. Le programme est divisé en deux parties : symphonies 94 et 99 sur le premier disque, 95 et 98 sur le second, ce qui donne un minutage plutôt chiche, de moins de cinquante minutes à chaque fois. Mais ce n’est pas sur la quantité que l’on soupèse un résultat ; c’est plutôt sa qualité que l’on examine. De ce côté, rien ne vient troubler l’écoute : l’esthétique et l’éloquence sont là, les pupitres brêmois sont à la hauteur du projet, le tout est bien exécuté. Et l’on évite l’ennui dont notre confrère se plaignait dans sa critique des symphonies 101 et 103. À chaque instant ? Pas tout à fait, à vrai dire, car, selon les partitions, on adhère de façon inégale.
Nous ne reviendrons pas sur la genèse de ces pages archi-connues et largement documentées, par ailleurs très gâtées par la discographie qui contient des merveilles. Rappelons qu’elles ont été composées entre 1791 et 1793 à Londres, sauf la 99e, écrite à Vienne et créée dans la capitale anglaise l’année suivante. Globalement, l’élégance et une certaine dramatisation sont les caractéristiques premières de l’approche järvienne. C’est le cas pour la 94e, surnommée « La Surprise », ou aussi « du coup de timbales » qui, dans l’Andante, était censé « réveiller les dames assoupies au concert ». Après un premier mouvement qui aspire à la grandeur, avec des timbales accrocheuses, cet effet n’est pas bien « méchant » et a même un côté romantique, avec une évidente recherche du beau son. Le Menuet, qui doit être très rapide selon les indications de Haydn, a tendance à boursoufler un peu et à tourner en rond. Cela fait contraste avec la version toute récente de Giovanni Antonini, qui fait partie du 16e volume du « Projet Haydn 2032 », en cours chez Alpha. Chez le Milanais, il y a une vibrante vitalité que ne décline pas Järvi. Par contre, l’Allegro molto final de ce dernier est très réussi.
On pourrait appliquer aux autres symphonies de ce double album les mêmes constatations : la 95e, qui, contrairement aux trois autres, n’a pas d’introduction lente, apparaît comme la mieux venue de la série, avec son Andante cantabile et son aigu de violoncelle, et malgré cela, une fois encore, un Menuet discutable. Disons-le sans ambages : aucun Menuet des quatre symphonies ne convainc vraiment. La comparaison de celui de la 98e, couplée à la 94e dans l’album Antonioni cité, plaide encore pour l’élan communicatif de ce dernier. La 99e de Järvi est bien charpentée, avec, dans l’orchestration, l’apparition de la clarinette. Ici, le chef imprime au discours une profonde expressivité, en particulier dans un superbe Adagio.
Que conclure ? Le chef estonien semble accorder la préférence à la forme et à son esthétique ; on se découvre réticent devant son interprétation d’un peut-être trop « juste milieu », assez indéfinissable. Dans cet espace revendiqué par Järvi, on se souviendra qu’Antal Doráti, avec sa belle intégrale Decca gravée dans la décennie 1970, se révélait plus heureux et plus spontané. La série des Londoniennes doit encore être complétée par Järvi ; il arrivera peut-être à nous convaincre de sa réelle complicité avec l’univers de Haydn.
Son : 8 ,5 Notice : 6 Répertoire : 10 Interprétation : 7,5
Jean Lacroix