Jean-Marie Marchal, à propos du Grand Manège de Namur

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Le Namur Concert Hall est une avancée importante pour le milieu musical et culturel Namurois. Rencontre avec son directeur général, Jean-Marie Marchal qui revient sur les grands moments de cette aventure tout en se projetant vers l'avenir. Un entretien mené par Thimothée Grandjean et Alex Quitin, reporters de l'IMEP. 

Comment est né le projet du Grand Manège ? 

Le Grand Manège existait déjà. Nous sommes dans le quartier qui, historiquement, était le quartier militaire. Actuellement il ne reste plus que la porte d'entrée de la caserne principale, dans laquelle il y a un musée africain qui va être lui aussi restauré. À l'époque, le Grand Manège était occupé par un régiment de lanciers à cheval, d'où son nom. Ensuite c'est devenu un lieu culturel géré par le théâtre à la fin du siècle dernier. Essentiellement pour du théâtre expérimental et pour des musiques dites “émergentes”, comme le rock alternatif. Mais à un certain moment, les pompiers ont décidé que la sécurité n'était plus suffisante dans le bâtiment, qui a donc été fermé. Le bâtiment appartenant à la ville, la question s’est posée de savoir ce qu'on allait en faire. 

Par ailleurs, il y avait deux vieux problèmes ici à Namur. Tout d’abord celui du CAV&MA, qui produit le Chœur de Chambre de Namur, l’orchestre baroque Millenium, etc, qui n'avait pas de salle de référence que ce soit pour répéter ou enregistrer. Nous devions aller dans les églises mais les églises, en hiver, ce n’est pas ce qui il y a de mieux. 

D'autre part, il y avait aussi le problème de l'académie de musique de Namur, le Conservatoire Balthasar Florence, qui était dans des bâtiments provisoires depuis très longtemps et qui était en demande d'avoir enfin son bâtiment. Des discussions ont eu lieu en 2012, 2013 et début 2014 et la ville s'est finalement décidée à restaurer complètement le Grand Manège, à reconstruire du nouveau et à réunir le CAV&MA ainsi que le Conservatoire dans une seule “mini-cité” de la musique. Le dossier fut mûr en 2015. Les travaux ont commencé en 2018 et se sont terminés en 2021 avec une inauguration le 3 septembre 2021. Voilà toute l'histoire. En ce qui concerne le fonctionnement de la nouvelle infrastructure, la Ville intervient également, ainsi que la FWB - ministère de la culture, de manière insuffisante malheureusement que pour pérenniser notre projet à long terme mais suffisante toutefois pour nous lancer dans l’aventure. Je forme le voeux que les négociations qui se profilent à propos du renouvellement du contrat-programme qui lie notre association aux pouvoirs publics nous permettront de stabiliser l’infrastructure en lui donnant les moyens de se développer à long terme et ainsi de donner sa pleine mesure au bénéfice tant des artistes de notre communauté que du public.

On a beaucoup travaillé pendant trois ans avec les acousticiens pour s'assurer du meilleur résultat possible de ce qui était quand même le cœur du projet. Tous les musiciens qui se sont produits dans notre salle s’accordent à dire que l’acoustique est remarquable. De plus, elle est réglable. C'est-à-dire que sans public, on a une résonance naturelle qui peut aller de une seconde deux à deux secondes sept. Une seconde deux, c’est quasiment un théâtre et deux secondes sept, c’est une église. On peut donc y faire absolument toutes les musiques. On a d’ailleurs tout testé : récital de piano, musique de chambre, musique symphonique, musique ancienne y compris musique médiévale avec trois chanteurs et un luth,… et on entend très bien de partout dans la salle. Pour nous, c'est une réussite et on en est très satisfaits.

Nous avons tout de même quelques handicaps, comme le fait par exemple qu'on ne puisse avoir ni fosse d'orchestre, ni loge, ni rangements de matériel au -1 car un ruisseau passe en dessous du bâtiment. Il nous manque aussi un complément dans une deuxième phase de travaux. Le but de celle-ci est notamment de construire une agora à l'extérieur. Nous ajouterons aussi un pylône pour projeter les images sur la façade blanche. Il y aura également un grand local de rangement. Donc le projet du Grand Manège n’est pas encore terminé. Malgré cela, c'est quand même déjà très concret et un peu miraculeux. En effet, tous nos partenaires nous ont dit que voir arriver cette salle en plein milieu de la pandémie du Covid 19 était quelque chose d’incroyable.

La première discussion sur l'éventualité de construire une salle de concert ici à Namur date de 1999 donc on voit que dans la vie, il faut être un peu obstiné pour mener à bien un projet tel que celui-ci. J'espère qu'il ne faudra pas à nouveau vingt ans pour avoir les moyens de fonctionner dignement ici, parce que ce serait au-delà de ma pension,… mais disons que c'est toujours un “work in progress”. Rarement le politique comprend la culture de telle manière qu'il donne d'emblée les moyens adaptés. Il faut toujours convaincre et démontrer. Et puis, petit à petit, les choses se font. On connaît les règles du jeu.

Entre le "oui'' des autorités et l'inauguration de la salle, il y a forcément eu de grands moments, de grosses surprises, en positif comme en négatif. Pouvez-vous en évoquer quelques-unes ?

Concernant la construction en elle-même, il y a eu une très mauvaise surprise au départ à cause de l’eau. On était bien conscient qu’il y avait un ruisseau en dessous de la salle de concert et les techniques de construction ont été adaptées. Par contre, on pensait que le bâtiment pour l’administratif et le conservatoire était suffisamment loin. Mais en creusant, les ouvriers se sont aperçus que ce n'était pas le cas. Il a donc fallu recommencer complètement tous les plans avec des techniques de construction différentes, adaptées à ce problème, ce qui nous a fait prendre des mois de retard. On est aussi confronté à certains défauts dans la construction. Malgré tout, le bâtiment et son style rencontrent l'adhésion de tout le monde.

Pour ce qui est plus positif, nous avons quelques grandes dates. Premièrement, le fait que la ville, par la voix de son bourgmestre, nous dit “on y va”. Après toutes ces années de discussions, entendre ça de la bouche du responsable qui va tout financer, c'est quand même un grand moment, il faut bien le dire. Et puis l'inauguration aussi, bien sûr. La première fois que tout le monde est réuni pour faire la fête, à écouter de la musique dans une nouvelle salle, c'est quand même un événement. Alors cette inauguration a eu lieu un peu trop tôt pour nous. Parce qu'avec les différents problèmes de fourniture des matériaux dus au Covid, on n'était pas tout à fait prêts du côté de la salle le 3 septembre 2021. Mais le conservatoire, lui, faisait sa rentrée scolaire donc il fallait quand même inaugurer le bâtiment. 

Ce qui était clair dès le début, c’était que la première saison de concerts, en tout cas entre septembre 2021 et Pâques 2022, était plutôt une mise en ordre progressive. Parce que même les techniciens par exemple, qui doivent faire fonctionner une salle comme celle-là, il ne faut pas croire qu'ils arrivent, qu'on met le contact et que tout va très bien. Il y a des tas de choses à appréhender. C'est quand même un grand vaisseau, ça demande un peu de temps. Actuellement, on monte un peu en puissance. Avec Zoroastre puis une série de concerts jusqu'à fin juin et le festival en juillet. Pour ensuite présenter une saison complète en 2022-2023.

Quelles différences marquantes y a-t-il entre vos projets au début de l’aventure et la réalité de la saison en cours ?

Au niveau de l'infrastructure, le résultat correspond à nos attentes. Par contre, les moyens pour faire fonctionner le projet ne sont pas suffisants. Comme par exemple, notre capacité à engager suffisamment de personnel pour faire tourner la boîte. On est en décalage. 

Puis on a eu quelques problèmes, et on en a toujours pour l'instant, qui relèvent de la situation générale. Á savoir qu’on a fait des marchés publics pour l'équipement de la salle sur base de prix de 2019-2020, mais le prix de tout ce que vous pouvez trouver comme matériel aujourd’hui a significativement augmenté. À côté de ça, la dotation dont on dispose ne change pas, ce qui est très compliqué à gérer. Alors que nous avons officiellement inauguré en septembre 2021, nous ne disposons pas encore de tout le matériel scénique. Nous devons encore louer certaines choses. Voilà, ce sont des petits embêtements. 

Le seul bémol c’est le plancher de la scène. Bizarrement, toute la salle est parfaite, mais le plancher a été bâclé. Donc malheureusement, dès la saison prochaine, on doit refermer huit semaines pour remplacer le plancher. Mais on positive toujours en se disant qu'au vu de la qualité de l’acoustique déjà parfaite, une fois qu’on aura le bon plancher, ça deviendra extraordinaire.

Bien que la salle soit gérée par le CAV&MA, nous pouvons remarquer dans la programmation qu'il n'y a pas que de la musique vocale ou ancienne. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette volonté de programmer d'autres styles musicaux ?

Il y a une première chose à dire, c'est que le CAV&MA a une image de musique ancienne. Cela s’explique par le fait que historiquement parlant, dès qu'on a créé le chœur, on a été demandé davantage dans le domaine de la musique ancienne. Mais quand on analyse notre production discographique, nos concerts, etc… on fait très régulièrement de la musique qui va de la musique médiévale à la création contemporaine. De plus, dans le cas du Grand Manège, c'est un autre métier. Ici, cela concerne une salle de concert. On doit évidemment pouvoir élargir l'offre pour toucher tous les types de publics. De plus, n’ayant pas de tradition musicale riche à Namur, le public n’est pas formé, pas habitué. Les personnes qui veulent vraiment écouter régulièrement de la musique classique au sens général, ont leurs abonnements à Bruxelles ou à Liège. Donc là, il y a tout un effort de communication à faire. On va aussi tester différentes choses afin de voir ce qui plaît et ce qui plaît moins, avant de se lancer dans des projets qu'on ne peut pas gérer. 

Nous allons aussi apporter une attention particulière aux jeunes créateurs. D’ailleurs, une partie du matériel qui doit encore arriver a été achetée en fonction des desideratas de jeunes compositeurs. Grâce à ce matériel, ils pourront, entre autres, mélanger plusieurs arts comme la vidéo, l’art plastique, la musique et cetera. On a déjà deux projets de cet ordre-là prévus pour la saison prochaine. 

Nous irons aussi du côté de la musique “non-classique”, la musique amplifiée. L'acoustique dont on dispose nous permet de le faire. La seule chose qui est vraiment impossible, c'est que le public soit debout. On va aussi tester certaines choses en musique du monde, en jazz et ainsi de suite pour plaire au plus grand nombre. 

Alors, il ne faut pas faire de tout, tout de suite. Nous devons y aller progressivement. Et nous espérons que d'ici cinq ou six ans les Namurois et même des gens d’ailleurs en Belgique et dans le monde, seront attirés par cette infrastructure de qualité et une programmation riche et variée. 

Notre rêve bien sûr, c’est aussi que le public ose aller vers des concerts qui ne sont pas dans leurs habitudes. Ce n’est pas toujours évident. Même au sein de la musique classique, par exemple, on s'aperçoit qu'il y a des niches. Il y a des gens qui vont à certains types de concerts et qui ne vont pas à d'autres. Nous allons donc essayer de briser ces chaînes, en quelque sorte. 

Dans ce but, nous avons créé en 2015 le réseau Na!, qui réunit tous les programmateurs de musique classique à Namur. On a un code couleur dans les programmations pour savoir chaque fois qui est l'organisateur. Ça marche assez bien. On espère que le Covid est derrière nous et que le public va revenir dans les salles à force de proposer des choses intéressantes. Les gens vont peut-être se dire que finalement, c'est quand même important d’aller au concert, de vivre en direct des émotions musicales.

Quel bilan tirez-vous de cette première saison ?

Nous avons programmé des événements assez différents afin de tester différentes acoustiques. Avec le Covid qui perturbe encore les programmations et l’occupation des salles, nous ne pouvons pas vraiment sortir des statistiques. Malgré tout, la fréquentation n'est pas mauvaise. On a une fréquentation en musique de chambre qui tourne autour de quatre cents personnes et pour les musiques anciennes, musique symphonique entre six cents et sept cents personnes. Pour des statistiques complètes, je vous donne rendez-vous en 2024 après notre première vraie saison. 

Grâce à nos relations avec différentes écoles, associations de quartiers, etc, nous avons remarqué que beaucoup d’enfants, d’ados et de professeurs assistent aux concerts. Ce qui n'était pas vraiment le cas auparavant. Dans la saison qui vient, on a des concerts vraiment famille, on a même un cycle de trois concerts pour les bébés, des choses vraiment très intéressantes. 

Nous essayons de former, d’attirer le public du quartier pour qu’il puisse profiter d’une infrastructure qu'ils ont vu arriver comme un ovni. Le meilleur exemple est notre festival de musiques africaines qui se déroulera début juin. On essaie de faire des ponts entre les cultures pour faire tomber les tabous. Le Namur Concert Hall n’est pas un temple réservé à une certaine élite. On va vraiment essayer d'être un point de rassemblement pour tous les publics. 

Le problème de la musique classique en général, c'est qu'il faut que les gens poussent la porte. Une fois qu'ils ont poussé la porte, normalement, ils sont convaincus parce que ce qu’on leur propose est de qualité. C’est pour ça que l'agora dont je vous ai parlé est très importante. Les plus réticents ont un avant-goût de ce qu’il se passe à l’intérieur, sans avoir la pression de devoir rester plusieurs heures dans une salle. C'est un premier contact qui permet aussi de désacraliser la musique classique pour ne plus avoir cette réaction spontanée de toute une population qui se dit que ce n’est pas pour elle.

Quels sont vos projets pour les saisons à venir ? 

Les saisons à venir sont toujours structurées de la même manière. Nous avons en quelque sorte quatre couches de concerts. Tout d’abord, les concerts du CAV&MA, qui pourra enfin se produire à Namur. Donc rien que par notre activité de producteur, ça fait au minimum de six à neuf concerts par an rien qu'en gestion interne. En dehors de ça, il y a des choses que nous programmons en tant que salle, sans nos musiciens à nous. Ça fait l'objet surtout de coproductions et de collaborations. Ensuite, les membres de Na! ont un accès privilégié. Par exemple, l’IMEP est venu fêter son cinquantième anniversaire dans notre salle. Et pour finir, il y a les locations qui ne sont même pas nécessairement en rapport direct avec la musique. On a été sollicitée notamment par le festival du KIKK, le festival Nature et même le festival du Rire. Le cumul des quatre couches donne une programmation qui correspondrait l'année prochaine à plus ou moins une cinquantaine de lever de rideau. Pour une ville de cent mille habitants, ce n’est quand même pas mal.

D'ici cinq ou six ans on saura définitivement si le projet est réussi. Il y a une marge de progression dans la notoriété, dans les recettes de billetterie, dans le soutien des pouvoirs publics en termes de subvention. Il y a quand même beaucoup de cases qui ne sont pas encore remplies. Mais en même temps, on est très heureux de ce nouvel endroit de travail qui a considérablement changé notre vie.

Le site du Grand Manège : www.grandmanege.be

Propos recueillis par Thimothée Grandjean et Alex Quintin, Reporter de l’IMEP.

Crédits photographiques : Gabriel Balaguera

 

 

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