Jean-Philippe Collard : l'absolue sincérité

par

© Bernard Martinez, La Dolce Volta

Robert Schumann : Waldszenen, op. 82

 - Frédéric Chopin : Sonate no. 2 pour piano - ‘Funèbre’

 - Modeste Moussorgsky : Tableaux d’une exposition
D'un pas nonchalant Jean-Philippe Collard entre sur scène, s'installe au piano et commence rapidement son récital. Sans cérémonie. Sa préparation avant de jouer est à l'image de son jeu: direct, fluide, sans précaution et sans embarras. Jean-Philippe Collard est un grand pianiste français relativement discret même s'il fait partie des rares Français à avoir fait une grande carrière internationale notamment aux Etats-Unis. Carrière qu'il continue d'ailleurs. Sa qualité (ou son défaut) étant de ne pas être rentré dans le "star-system"; pas de biographie, pas de produits dérivés, pas de transferts de labels et pas de couvertures de magazines. Collard est ce qu'on pourrait appeler un sage. Il est là pour jouer du piano, point. Dès les premières notes des Scènes de la forêt de Schumann on est pris par le son que produit ce pianiste ; un son clair, ample et rond. Le jeu de Collard est très chantant, il sait où il va et conduit constamment toutes les voix. Il est si rare de nos jours d'entendre un pianiste avec un jeu d'une telle authenticité, simplicité et justesse de ton mais aussi une grande énergie, une belle palette de nuances et un tempérament plein de fougue. Jean-Philippe Collard allie les qualités d'un jeu à la française et les qualités des grands pianistes russes. Par moments on pouvait noter une certaine similitude de jeu avec celui de Vladimir Horowitz : une souplesse incroyable, une vélocité acrobatique et une puissance dans les basses. La comparaison n'étant pas si hasardeuse quand on sait l'amitié qui a lié ces deux pianistes. L'influence d'Horowitz se ressent fortement. Dans la Deuxième Sonate dite "Funèbre" de Chopin, Jean-Philippe Collard s'est montré encore un plus grand confident que dans Schumann, particulièrement dans la partie centrale de la marche funèbre qui fut une véritable consolation après ce rythme implacable qui parcourt toute la sonate. Quand Collard joue, on n'a pas l'impression d'assister à quelque chose de magique, d'extraordinaire ou d'intemporel ; la musique coule de source, la musique est pour lui une allégorie de la vie et la vie comme on le sait tous est faite de risques et d'imprévus. Non pas qu'il prenne des risques inutiles ou qu'il fasse des imperfections, bien au contraire ; Collard n'est pas sur scène assis confortablement dans son siège à rejouer un programme appris des années auparavant et ultra-maîtrisé, mais il est là pour cerner au plus près les oeuvres qu'il interprète. Le clou de la soirée étant les Tableaux d’une Exposition de Moussorgsky. Cette oeuvre mondialement connue, jouée et transcrite a parfois le défaut d'être jouée d'une manière objective et froide. L'écriture pianistique étant parfois maladroite, les pianistes ne se sentent pas très à l'aise et restent à l'étroit dans cette musique, s'interdisant toute subjectivité. Autant dire que Jean-Philippe Collard se sent plus qu'à l'aise dans cette musique si pure et née d'un seul jet. Cette oeuvre de Moussorgsky est assez unique dans le répertoire pour piano ; cette suite de petites pièces illustrant divers tableaux est rentrée dans le top 10 des oeuvres les plus difficiles à interpréter pour les pianistes. Sa difficulté technique résidant dans le fait qu'elle fut composée par un pianiste amateur de génie non nourri de toute la tradition pianistique du passé (Beethoven, Liszt, Chopin etc). Jean-Philippe Collard fut phénoménal. Le piano devint alors un orchestre fabuleux, brillant de mille couleurs et nuances différentes. La puissance que peut avoir ce pianiste de presque 70 ans peut faire frémir pas mal de jeunes pianistes… Quelle subtilité de jeu dans "Ballet des poussins dans leur coque" , quelle vélocité dans "Le marché de Limoges" et quelle puissance monumentale dans "La grande porte de Kiev" ! La comparaison revient encore, on ne peut que penser à la vision si personnelle qu'en avait Horowitz. Collard nous a offert une grande soirée de grand piano comme il y en a peu. Mais avant que d'être pianiste, Jean-Philippe Collard est avant tout un grand sensible, simple, honnête et efficace.
François Mardirossian
Bruxelles, Flagey, Studio 4, le 21 février 2014

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