Jean-Philippe Goude, l’album inspiré d’un baroudeur de la musique
Le salon noir. Jean-Philippe Goude (1952-). 77’16" – 2023 – Livret : français. Ici, d’ailleurs. IDA155.
Le salon noir (une référence à la grotte de Niaux, dans le département de l'Ariège, aux ornements datant du paléolithique supérieur) est un disque double, écrit d’une main élégante par Jean-Philippe Goude, compositeur et arrangeur parisien, dont la production musicale se partage entre la musique populaire (il assure la direction artistique pour Dick Annegarn, Odeurs ou Renaud) et la musique contemporaine néo-classique : on sait ses accointances avec la zeuhl, cette esthétique, engendrée par un groupe à lui seul (Magma), dans la mouvance du rock progressif, rencontre préparée par un parcours éducatif de pianiste classique (harmonie, contrepoint, analyse musicale), puis de musicologue -c’est là que ça commence à dévier, avec l’ethnomusicologie et les musiques nouvelles, sous l’influence pro-marginale de l’homme de radio Daniel Caux-, attiré ensuite par je jazz diffusé au Centre Culturel Américain, aspiré enfin par la galaxie brumeuse qui tourne autour du batteur Christian Vander -Goude rejoint Weidorje, une excroissance de Magma, et s’initie aux synthétiseurs analogiques-, avant de tâter, début des années 1980, à l’informatique musicale -plus tard, le compositeur écrit pour l’image (cinéma, télévision, publicité) ou la radio (habillage d’antenne).
Si la petite vingtaine de pièces présentées ici, en deux parties, sous-titrées In Fine pour la première et Solastalgia pour la seconde (il s’agit de cette anxiété, sourde et diffuse, qui vrille de nombreux milléniaux face à l’évolution climatique), sont de facture néo-classique, certaines trahissent le parcours du compositeur (le thème répétitif, tendu et sombre, de La rage -qui revient, un cran au-dessus, dans Ire ; le minimalisme rembourré, à la Philip Glass, de Ad Litteram ; l’urgence contrariée de Flux), alors que d’autres convoitent une beauté simple et pleine (la voix de contre-ténor de Paulin Bündgen dans Même les étoiles, les cordes de Lève-toi, voici l’aube ou l’espace ouvert d’Ailleurs), la nouveauté pour Goude (dont Le salon noir est le neuvième disque), est la voix -et, par-delà, le texte (signé par lui, ou à quatre mains, avec Robert Briatte).
Jean-Philippe Goude s’occupe principalement des claviers (le piano, l’orgue électrique, de cristal…), ainsi que de leur programmation et, pour chaque morceau, complète l’instrumentarium, tenu par des musiciens qu’il connaît le plus souvent de longue date, en fonction de l’objectif recherché : violon et violoncelle, en plus du piano, créent le déchirement de J’habite une blessure ; harmonium, vibraphone, ondes Martenot soufflent les mots de ténacité aveugle aux naufragés d’Aux solitudes -un renvoi au film du situationniste Guy Debord (la ronde infinie du peuple autour d’objets de consommation inaccessibles) et une version, cette fois chantée, du morceau qui donne son titre à l’album de 2008 de Goude ; le quatuor à cordes, enfin, emmène de l’intrigue à l’intransigeance outragée dans In girum imus nocte.
Une découverte pleine de vie.
Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8
Chronique réalisée sur base de l'édition CD.
Bernard Vincken