Jodie Devos s’épanouit dans un éventail de mélodies anglaises

par

And Love Said… Mélodies de Frank Bridge (1879-1941), Irene Poldowski (1879-1932), Ralph Vaughan Williams (1872-1958), Roger Quilter (1877-1953), Ivor Gurney (1890-1937), Benjamin Britten (1913-1976), Darius Milhaud (1892-1974), Patrick Leterme (°1981), William Walton (1902-1983), Germaine Tailleferre (1892-1983) et Freddie Mercury (1946-1991). Jodie Devos, soprano ; Nicolas Krüger, piano. 2020. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes des poèmes en anglais avec traduction française. 68.58. Alpha 668.

Ce programme est le reflet d’un voyage personnel : je suis belge, j’ai fait mes études à la Royal Academy of Music de Londres, et me voici maintenant installée en France. Je souhaitais présenter des compositeurs de ces trois nationalités, en gardant comme point d’ancrage la mélodie anglaise, qui a été importante dans mon parcours, et la langue anglaise, confie Jodie Devos dans l’entretien réalisé avec Claire Boisteau le 14 septembre 2020, échange que l’on peut lire dans la notice de ce CD Alpha, qui arrive deux ans après un disque Offenbach dynamique et jouissif que la soprano avait alors signé pour le même éditeur. Cette précision de l’artiste a été apportée dans le mois qui a suivi l’enregistrement du récital effectué en août 2020 dans la salle Muziekcentrum van de Omroep à Hilversum. 

On n’attendait pas vraiment Jodie Devos dans un tel répertoire, que l’on peut presque considérer comme une chasse gardée pour les interprètes anglophones. C’est donc avec un vif plaisir que l’on retrouve le charme vocal, la finesse, le raffinement et la sensibilité de la cantatrice dans vingt-cinq mélodies d’onze compositeurs, toutes centrées sur le thème de l’amour, comme l’indique le titre du CD, le terme devant être pris au sens large. L’agrément de la découverte musicale s’accompagne de la possibilité de lire la traduction française de tous les textes. C’est avec deux mélodies de Frank Bridge que s’ouvre ce panorama, dont un émouvant Come to me in my dreams qui place tout de suite l’auditeur dans un univers de délicatesse et de rêverie. Alors que Vaughan Williams exalte la Beauté de façon hymnique dans Let Beauty awake, l’un des Songs of Travel sur un texte de Robert Louis Stevenson, Irene Poldowski, anglaise d’origine polonaise (elle est la fille d’Henryk Wieniawski) qui est née à Bruxelles et y a étudié avant d’épouser un aristocrate londonien, cisèle l’innocence et l’enjôlement de la flûte, puis la splendeur des yeux de la bien-aimée. On ne peut tout citer de cet éventail de mélodies, mais on est touché par les pages de Roger Quilter qui évoque Loves’ Philosophy d’après Shelley, par trois extraits de Façade de William Walton, avec les mots sophistiqués d’Edith Stilwell dans leur spontanéité juvénile, ou par les incursions de Darius Milhaud ou de Germaine Tailleferre dans la langue anglaise, le premier dessinant la paix du cœur d’après Rabindranath Tagore, la seconde la tendresse selon Lord Byron.

Jodie Devos propose aussi deux cycles qui méritent une attention toute particulière : d’Ivor Gurney, on entend les Five Elizabethan Songs, dont deux sont signés Shakespeare, et un autre, intitulé Sleep, sur un texte de John Fletcher, qui appelle les délices du sommeil et des songeries agréables, et qui est un moment de détachement de la réalité. Pour Benjamin Britten, il s’agit d’On the Island, l’opus 11 de 1937, un cycle de cinq mélodies de W.H. Auden qui se déroule dans un climat serein, en touches épanouies ou mélancoliques avec, en son milieu, le magique Seascape (Paysage marin) qui se récite en ondulations fluides et en évocation de la marée. Admirables sont tous ces moments que nous venons de citer, car Jodie Devos, dont l’émotion se ressent de façon presque palpable, donne à chaque air sa part de singularité. D’aucuns émettront peut-être une réserve, avançant qu’une première écoute globale donne une sensation de monochromie. Ils auront tort, car c’est dans les nuances, dans l’affectivité injectée selon les atmosphères et dans les variations de couleurs, même minimes, que se trouve le cœur de l’interprétation. Jodie Devos chante avec le cœur en bandoulière, c’est-à-dire avec la disponibilité et l’investissement subtil qui se trouvent derrière les notes et les mots, admirablement servis et travaillés.

Dans ce récital, on trouve encore deux poèmes d’Oscar Wilde mis en musique par notre compatriote Patrick Leterme. Comme l’explique Jodie Devos, c’est une commande qu’elle a faite à ce jeune compositeur qui l’a accompagnée lors de son premier tour de chant quand elle avait dix-sept ans et qui lui a offert son premier rôle professionnel. Dans ces superbes images poétiques dont la lecture anglaise est un émerveillement, la voix est soumise à rude épreuve face à une tessiture audacieuse que la cantatrice maîtrise à merveille. C’est un vrai moment d’exaltation. Pour clôturer son récital, Jodie Devos a choisi une chanson de Freddie Mercury, en reprenant la version originale que l’auteur-compositeur-interprète, mort à 45 ans, a donnée lors d’un concert à Hyde Park. C’est un rappel de l’attrait de Jodie Devos pour la pop et le jazz qu’elle a fréquentés avant le répertoire classique. You take my breath away est un chant d’amour au contexte très émouvant et frémissant dont les paroles étreignent le cœur. Il s’achève, en traduction française, par ces mots : Je te trouverai/Jusqu’aux confins de la terre/Je ne dormirai pas avant de te trouver/Pour te dire quand je t’aurai trouvée/Que je t’aime. Une conclusion poignante, qui trouve ici toute sa place.

Voilà un CD bien séduisant qui offre une autre facette, un peu inattendue, de Jodie Devos. Elle démontre à suffisance, par le choix des mélodies comme par la qualité du chant, sa capacité à aborder divers registres. C’est un disque de tendresse que l’on savoure pour son esprit comme pour sa réalisation. Nicolas Krüger, qui mène une double carrière de pianiste et de chef d’orchestre et est professeur au Conservatoire Royal de Mons, est le complice de ces chants d’amour. On aimerait que de temps à autre, sa main soit encore plus légère, pour modeler jusqu’à l’extrême finesse tous les trésors de beauté que Jodie Devos anime avec tant de vérité.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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