John Barbirolli rayonnant au Carnegie Hall de New York

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Elgar from America - Volume 3. Sir Edward Elgar (1857-1934) :  Introduction and Allegro pour quatuor à cordes et orchestre à cordes, op. 47 ; Scènes de la Saga de King Olaf, cantate op. 30 : deux chœurs ; The Dream of Gerontius, oratorio op. 38. Richard Lewis, ténor ; Maureen Forrester, contralto ; Morley Meredith, baryton-basse. John Corigliano, Leopold Rybb, violon ; William Lincer, alto ; Laszlo Varga, violoncelle ; Alexander Schreiner, orgue. Mormon Tabernacle Choir, direction : J. Spencer Cornwall. The Westminster Choir (chef de chœur : Warren Martin). New York Philharmonic-Symphony Orchestra, direction : Sir John Barbirolli. Enregistré en 1953 et 1956 au Mormon Tabernacle, Salt Lake City, Utah ; en live les 3 et 25 janvier 1959 au Carnegie Hall, New York. Édition 2022. Livret en anglais et transferts de Lani Spahr. 1 double CD SOMM série « Ariadne » ARIADNE 5015-2.

Hormis les deux chœurs des Scènes de la Saga de King Olaf op. 30 au Mormon Tabernacle de Salt Lake City, issus de microsillons de la Columbia américaine, et qui trouvent ici leur premier transfert en CD, l’Introduction & Allegro op. 47 et Le Songe de Gérontius op. 38 d’Edward Elgar par Sir John Barbirolli (1899-1970) captés en live en janvier 1959 à New York et qui constituent l’essentiel de ce double CD, avaient déjà connu en 2010 une publication antérieure chez le label canadien apparemment défunt West Hill Radio Archive (WHRA-6033), intitulée Barbirolli in New York - From January 1959 public performances previously unissued.

Une comparaison entre les deux éditions accorde un net avantage à la réalisation sous rubrique grâce aux reports améliorés de Lani Spahr (également l’auteur des notes exhaustives de la plaquette) qui, contrairement à l’édition WHRA, a respecté la désannonce radiophonique du Songe de Gérontius, et éradiqué la plupart des grésillements originellement présents, ce qui rend l’écoute de cet enregistrement virtuellement aussi attractive que celle de la célèbre gravure EMI/Warner 1964 de Barbirolli.

En 1938, dès le début de son mandat new yorkais, le jeune et courageux John Barbirolli reçut la lourde tâche de succéder à l’immense Toscanini à qui il fut inévitablement comparé, composant tant avec sa légende que sa personnalité écrasante. Il nous lègue entre 1938 et 1942 de brillantes gravures Columbia et RCA Victor rassemblées opportunément en un petit coffret de 6 CDs Sony (19075988382). Toutefois, les enregistrements radiophoniques ici présents furent réalisés alors comme musicien en pleine maîtrise de son art, lors de son retour triomphal à Big Apple en janvier 1959.

Aux côtés de Ralph Vaughan Williams (1872-1958), Edward Elgar (1857-1934) est très certainement le compositeur anglais de cœur de John Barbirolli, et il semble bien que l’Introduction et Allegro pour cordes op. 47 (1905) d’Elgar fut l’œuvre signature-fétiche de Sir John, puisqu’après sa toute première gravure 78 tours en janvier 1927 pour la National Gramophonic Society, se succédèrent rien moins que cinq enregistrements commerciaux pour EMI/PYE/Warner en janvier 1929, mai 1947, septembre 1953, décembre 1956 et mai 1962. La version live qu’il nous offre le 3 janvier 1959 avec le New York Philharmonic-Symphony Orchestra -comme on l’appelait alors- n’a rien à leur envier, tant les cordes disciplinées de l’orchestre exaltent avec chaleur et précision tantôt les grandes envolées lyriques, tantôt les moments de pure tendresse de l’œuvre, sorte de concerto grosso moderne dont le concertino est ici un quatuor à cordes, brillamment guidé par le légendaire concertmaster John Corigliano (1901-1975), père du compositeur américain homonyme.

The Dream of Gerontius (Le Songe de Gérontius), oratorio op. 38 (1900) pour mezzo-soprano, ténor, basse, chœur et orchestre, d’après un poème du Crdinal John Newman (1801-1890), relate l’itinéraire spirituel d’un vieil homme lors de son passage de vie à trépas. Ce n’est pas le premier coup d’essai d’Elgar dans le domaine de l’oratorio, puisque qu’il avait déjà à son catalogue The Light of Life (Lux Christi) op. 29 (1896) ; par ailleurs Le Songe de Gérontius sera suivi de deux autres oratorios qui, d’une certaine façon, le prolongent : The Apostles op. 49 (1903) et The Kingdom op. 51 (1906). Seuls Sir Adrian Boult (EMI/Warner) et Richard Hickox (Chandos) semblent avoir enregistré le triptyque entier à ce jour.

Ce qui est loin d’être une raison de négliger John Barbirolli dans sa gravure studio EMI/Warner du Songe de Gérontius en 1964, car elle a bien des atouts, dont la présence du ténor Richard Lewis en Gérontius et son âme (rôles qu’il tenait déjà dans la seconde gravure de Sir Malcolm Sargent en 1954), celles de l’admirable contralto Janet Baker en l’Ange, et de la basse hiératique finlandaise Kim Borg en Prêtre et l’Ange de l’Agonie. La direction de Sir John, à la fois instinctive et inspirée, est peut-être la plus aboutie de toutes celles en studio… Mais !… Mais il semble bien qu’il se soit surpassé dans cette version live électrisante où, l’après-midi du 25 janvier 1959, il galvanise ses musiciens new yorkais au Carnegie Hall. Richard Lewis, définitivement l’un des Gérontius les plus acclamés de sa génération, a la voix plus assurée qu’en 1964, semblable à celle qu’il avait en 1954 avec Sir Malcolm Sargent ; la contralto Maureen Forrester parvient au moins à égaler Janet Baker dans le rôle de l’Ange par sa musicalité chaleureuse et une grande intelligence du style et de l’esprit de l’œuvre ; si la voix du baryton-basse Morley Meredith qui incarne le Prêtre et l’Ange de l’Agonie est particulièrement émouvante et moins écrasante que celle de Kim Borg, sa tendance à prendre certaines notes par en-dessous de l’intonation (tic que l’on rencontre fréquemment chez les mauvais chanteurs de bel canto pour forcer l’expression) est regrettable et peut agacer l’auditeur…

Entre ces deux œuvres d’importance évidente d’Elgar, cette édition, pour faire bonne mesure, introduit les deux brefs chœurs les plus connus des Scènes de la Saga de King Olaf, cantate op. 30 de 1896 relativement moins exécutée dans son intégralité -il en existe des versions complètes en CD par le regretté Vernon Handley (1930-2008) chez EMI/Warner et Andrew Davis chez Chandos. Ils ne pouvaient qu’être interprétés de façon grandiose par cette formation monumentale et disciplinée qu’est le Chœur du Tabernacle mormon de Salt Lake City, sous la baguette sensible de Joseph Spencer Cornwall (1888-1983) qui dirigea le chœur de 1935 à 1957.

Au total, voici donc un programme Elgar des plus désirables dans des versions historiques de très haut niveau et à chérir.

Son : 8 pour un historique - Livret en anglais : 9 - Répertoire : 9 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

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