Marin Marais revisité pour violoncelle et piano

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Œuvres et transcriptions de Marin Marais (1656-1728) : extraits des deuxième, troisième, quatrième, cinquième Livre de Pièces de Viole et de la Sonate à la marésienne. Jean-Guihen Queyras, violoncelle. Alexandre Tharaud, piano. Guillaume Gallienne, récitant. Août 2022. Livret en français, anglais, allemand. TT 62’03. Harmonia Mundi HMM 902315

Marais au violoncelle, l’entreprise n’est ni inédite ni récente. On se rappelle par exemple Bernard Escavi dans une Suite en ré mineur pour un vinyle de la collection « Grand Siècle » de Decca, au milieu des années 1960. On laissera au vestiaire tout débat d’authenticité. Car comme le souligne la notice du CD, le compositeur lui-même envisageait l’alternative, dans un recueil de 1723, certes à la fin de sa carrière quand déclinait la viole, avant qu’Hubert Le Blanc n’en prenne la défense dans son emblématique ouvrage publié à Amsterdam en 1740. Alors que ce traité expliquait comment transborder le naissant répertoire italianiste pour violon, les œuvres pour viole surent s’adapter à d’autres instruments quand la sonorité de celle-ci était depuis longtemps passée de mode. Notamment lors de la redécouverte de la musique ancienne au début du XXe siècle, moyennant l’hybridation de facture admirée par Alexandre Tolbecque (1830-1919), mentionné par le livret de Florence Bolton. 

Pourtant, comme l’avoue Jean-Guihen Queyras dans l’interview en pages 4-6, « une grande part du caractère unique de ces pièces repose sur les spécificités sonores et idiomatiques de la viole de gambe ». Sur le Gioffredo Cappa de 1696, la restitution des harmoniques, les double-cordes, le vibrato travaillé par la pression d’archet ont fait l’objet d’une réflexion, tout en privilégiant le respect du caractère sur l’imitation pure. Bref, l’esprit plutôt que la lettre ? Le timbre parfois nasillard et pincé prouverait toutefois que l’émulation ne s’est pas privée d’un certain mimétisme. Mise en pratique dans cette anthologie qui puise essentiellement au Troisième Livre, par une Suite en la mineur quasi-complète (sans Menuet ni Rondeau). Mais aussi une Musette de même tonalité, distillée avec une improbable évanescence. Importés du même Quatrième Livre, les célèbres Rêveuse et Badinage, celui-ci transcrit pour piano seul. Depuis ses disques consacrés à François Couperin (2001) et Jean-Philippe Rameau (2007), on sait Alexandre Tharaud féru de ce jardin du XVIIIe siècle français, qu’il aborde avec un phrasé distingué, précisément ornementé, où s’invitent quelques œillades permises par sa large culture du clavier.

Sous cet habit d’emprunt, certes un brin docte, les transcriptions s’instruisent avec goût, et surtout une science sûre qui réinvente l’alchimie de ces pages. Depuis le recueillement des Sarabandes, jusqu’à l’alacrité d’un Très Vivement tiré de la Sonate à la marésienne, les deux artistes s’approprient un geste et une sensibilité, sans que l’imagination n’irrigue la galerie des Couplets des Folies d’Espagne, traitée avec acuité et une large fantaisie, nantie de la poésie la plus secrète au duende le plus émoustillant (certains accords claquent comme du Chabrier). Le comédien Guillaume Gallienne prête sa voix à la terrifiante chirurgie du Tableau de l’Opération de la Taille, nous renvoyant à une époque où la médecine n’était pas douce. Douce est la manière de ce duo dont l’album ouvre droit à un convaincant exercice de style pour attirer un nouvel auditoire sur ces pièces, ou du moins les entendre d’une oreille neuve.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

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