John Pickard : un univers musical et vocal longuement mûri

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John Pickard (°1963) : Symphonies n° 2 et 6 ; Verlaine Songs, version pour orchestre de chambre. Emma Tring, soprano ; BBC National Orchestra of Wales, direction Martyn Brabbins. 2023. Notice en anglais, en allemand et en français. Poèmes reproduits, avec traduction anglaise.  72’ 51’’. BIS-2721.

Le compositeur britannique John Pickard, originaire de Burnley, cité moyenne à une trentaine de kilomètres de Manchester, a étudié localement avec le Gallois William Mathias (1934-1992), réputé pour ses pages chorales, puis, à La Haye, auprès de Louis Andriessen (1939-2021), qui fut un élève de Luciano Berio. Depuis une trentaine d’années, Pickard, méconnu de ce côté de la Manche mais apprécié dans le monde anglo-saxon, officie comme professeur à l’Université de Bristol et comme chef d’orchestre dans cette ville du sud-ouest de l’Angleterre, sur la rivière Avon. Méconnu, disions-nous. Pourtant, sa discographie est facilement accessible et bien alimentée par le label BIS, qui a proposé plusieurs albums de ses partitions orchestrales, parmi lesquelles The Flight of Icare (2008), Gaia Symphony (sa quatrième) et Eden (2014) ou Mass in Troubled Times (2023), ou encore, un programme de musique de chambre par le Nash Ensemble (2020), domaine que le label Toccata a aussi servi en 2023, après des mélodies en 2018. Une constante chez BIS : la présence du chef d’orchestre Martyn Brabbins (°1959), grand défenseur de l’œuvre de Pickard. C’est le cas encore pour cette nouvelle production, qui propose deux symphonies et des mélodies sur des poèmes verlainiens.

Dans la notice qu’il signe lui-même, John Pickard écrit : les symphonies occupent une place centrale dans ma vie musicale. Il précise : la différence entre la Deuxième Symphonie, lourde et déterminée, et la Sixième, plus légère et offrant plus de variations au point de vue émotionnel, est manifeste. Son écriture, personnelle et originale, Pickard s’inscrit dans la néo-tonalité. La Symphonie n° 2, en une seule coulée de 25 minutes, est une page de jeunesse (1987), qui a mûri longuement avant d’être la première jouée par un orchestre professionnel, deux ans plus tard. Pickard explique : Le point de départ n’était pas musical. J’avais été impressionné par le récit, dans Hiroshima de John Hersey, de l’extraordinaire résurgence de la végétation à l’épicentre de l’explosion atomique de 1945. Mais le compositeur se défend d’avoir écrit une musique illustrative ; avant de se lancer dans la composition, il a élaboré un plan de base rigoureux pour la structure et l’harmonie. Au fil de la mise en place, le résultat est le suivant : la structure globale comporte six sections, chacune dérivée métriquement de la précédente et subit une accélération graduelle, jusqu’à ce que la section finale culminante revienne au tempo initial. Cette page, orchestrée avec panache, dans des élans qui se succèdent et se répercutent de façon parfois fébrile, offre un paysage à double visage : celui de la désolation et du mouvement lié à une renaissance. Brabbins et son orchestre gallois, en belle forme, en proposent une version éclatante, farouche et apaisante en même temps.

La Symphonie n° 6 est, si l’on peut dire, un enfant du Covid ; elle a été entamée en 2021, en pleine période de confinement. Deux mouvements, l’un vif, l’autre plus calme, se partagent une atmosphère menaçante, tourmentée et explosive, avant une seconde partie, cordes et cuivres munis de sourdines, au sein de laquelle une atmosphère de marche funèbre se développe avant de retourner au silence, une résurgence de la nature se révélant en filigrane grâce à un contexte qui laisse la place à des similitudes avec le début de l’oeuvre ; celle-ci est dédiée à Robert von Bahr (°1943), le fondateur de BIS Records, un hommage plus que mérité pour cet infatigable défricheur de talents. 

Placés entre les deux symphonies, les six Verlaine Songs, dans leur version pour soprano et orchestre de chambre, se révèlent passionnants. Pickard a puisé dans les recueils de jeunesse du Messin : Poèmes saturniens (1866), La bonne chanson (1870), Romances sans paroles (1874). S’y ajoute Le squelette, de Jadis et naguère (1884). De climats différents et contrastés, ils alternent les suggestions automnales (Les sanglots longs), la mélancolie (Spleen), les éclairs et l’ouragan (Marine), le fantastique (Le Squelette), l’apaisement nocturne (L’heure exquise) et l’attente de l’éclat matinal (Le soleil d’or). On entend ici la version avec orchestre de chambre (2022), deux autres étant destinées, l’une à dix instruments, l’autre au violon et au piano, la soprano étant l’élément constant. On apprécie la musicalité de l’ensemble et les sollicitations vocales très aiguës, destinées à la voix claire de l’Anglaise Emma Tring, la dédicataire, qui a étudié à l’Université de Bristol, où Pickard enseigne, et est une spécialiste de pages contemporaines. Une prestation vocale très convaincante, diction française contrôlée, pour ce cycle constitué avec intelligence. Il en ressort une sensation de mystère et de drame latent, d’expressivité, parfois impressionniste, et d’appel à un lyrisme vibrant, la satire n’étant pas oubliée (Le squelette, absolue réussite). 

Cet album, gravé à Cardiff fin mars 2022 dans un son excellent, donne envie d’approfondir la connaissance de John Pickard, qui capte l’attention tout au long d’un programme de qualité.

Son : 10    Notice : 10    Répertoire : 9    Interprétation : 10

Jean Lacroix

Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD.

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