La 5e de Beethoven "revisitée", pour le plus grand plaisir d’un nouveau public

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Jusqu'au dernier moment, on ne savait pas si le concert, destiné aux étudiants, aurait lieu. Radio-France est en pleine tourmente, les suppressions de postes annoncées par sa direction passant très mal auprès du personnel. Le Chœur de Radio-France est le plus touché. Et justement, ils doivent chanter à ce concert.

Dans le hall, ils sont nombreux à distribuer un tract pour expliquer leur situation. Et l’on apprend que la première pièce du programme, la seule dans laquelle ils devaient chanter, est supprimée. Il s’agissait de Immortal Bach, un arrangement du choral Komm, süsser Tod de Bach réalisé par Knut Nystedt. Le programme nous apprend que le compositeur « a prévu une répartition spatiale particulière pour cette page brève mais spectaculaire ». Nous ne pourrons donc qu’imaginer ces quelques minutes de temps suspendu, d’une lenteur désespérante ou extatique, selon notre état d’esprit...

Ce concert était donc placé sous le double signe de la Cinquième Symphonie de Beethoven, et de la musique revisitée. Après Bach revisité par Nystedt, et avant Ravel revisité par Verrières, il y a eu toute une séquence autour de ce que l’on peut bien appeler ce tube de Beethoven, et même de toute la musique classique, tant ses quatre notes initiales, et qui constituent un motif omniprésent dans toute la symphonie, ont acquis une telle notoriété que l’on peut considérer qu’elles font partie du patrimoine universel de l’humanité. Beethoven aurait dit que c’était « le destin qui frappe à la porte ». Ses trois longues et une brève forment le ti-ti-ti-ta du V de l’alphabet morse : V comme Victoire ; ce motif servira ainsi à introduire la célèbre émission de la BBC « Les Français parlent aux Français » pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Rien d’étonnant, dès lors, que cette « Cinquième » (appelons-la par son petit nom) ait été arrangée à bien des sauces, plus ou moins savoureuses et plus ou moins bien accordées : des transcriptions, bien sûr, mais aussi des détournements dans d’autres styles de musique qu’il serait trop long de recenser ici (tous y sont probablement passés), sans compter les paroles ajoutées (dont la géniale Pince à linge de Pierre Dac et Francis Blanche, qui reprennent en quatre minutes les quatre mouvements de la symphonie, avec des paroles qui en illustrent à merveille la progression musicale : l’invention de la pince à linge signe ici la victoire des « lavandières et blanchisseuses du monde entier » sur leur destin !) 

Pour revenir à notre concert, la première « revisitation » de cette Cinquième a été Symphonic Mambo n°5, de Dámaso Pérez Prado (1916-1989), ici dans un arrangement d’Akira Miyagawa. Après quelques secondes du tout début, intact et célébrissime, place au mambo, donc. L’effet sur le public est immédiat. Ce détournement est-il pour autant si pertinent ? Nous avons l’impression qu’il aurait pu fonctionner avec bien d’autres musiques... Pour rester dans la musique cubaine, les Klazz Brothers & Cuba Percussion nous ont proposé une Salsa N° V au moins aussi pertinente... et impertinente !

Place, maintenant, à l’œuvre originale. L’Orchestre Philharmonique de Radio-France, dirigé par Mihhail Gerts, n’a du reste pas donné de cette Cinquième Symphonie une lecture particulièrement originale. Mais c’était vivant et enthousiaste, ce qui convenait très bien au jeune public, puisqu’il s’agissait d’un concert avec un objectif pédagogique (ce qui explique du reste que les musiciens aient tenu à jouer malgré le contexte de la grève).

Au milieu de la symphonie, Karol Mossakowski a improvisé à l’orgue, sur des motifs du second mouvement, que l’on venait donc d’entendre. Malgré une durée conséquente, le public est resté très attentif. Était-il si pertinent de couper ainsi cette symphonie dont l’unité, notamment grâce à ce motif célébrissime que l’on retrouve tout au long des quatre mouvements, est aussi évidente ? Et dont la progression est aussi éclatante ? On peut en douter.

Puis, pour terminer le programme annoncé, la création mondiale de Trésor public, de Frédéric Verrières, qui n’est autre qu’une « fantasmagorie » sur le légendaire (et fort lucratif, d’où ce titre) Boléro de Ravel. Tout en en reprenant le déroulé, le compositeur réécrit totalement l’œuvre, y ajoute des effets électroniques, des cassures, des surprises... On pense au travail de Pierre Henry sur les symphonies de Beethoven. Dans une tout autre démarche, c’est aussi très convainquant.

En bis (et deux fois de suite !), nous avons eu droit à une version disco, et très réussie, de cette Cinquième : A Fifth of Beethoven, de Walter Murphy (rendue célèbre par l’enregistrement de la bande sonore du film Saturday Night Fever). Succès garanti... et mérité !

Paris, Maison de la Radio, 16 janvier 2020

Pierre Carrive

Crédits photographiques :  Mihhail Gerts © Kaupo Kikkas

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