La 6e Symphonie de Mahler expressionniste mais erratique de Kirill Petrenko et l’Orchestre Philharmonique de Berlin 

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En juin 2018, Simon Rattle donnait son concert d’adieu à l’Orchestre Philarmonique de Berlin avec la 6e Symphonie de Gustav Mahler. Hommage rendu où défi lancé à son prédécesseur, Kirill Petrenko choisit lui aussi la 6e pour son premier concert Mahler quelques mois seulement après sa prise de fonction à la tête de l’orchestre. 

L’œuvre, la seconde de sa trilogie purement orchestrale, revient à la forme classique en quatre mouvements mais projette pourtant le langage musical dans une modernité expérimentale que reprendront à leur compte les compositeurs de la seconde école de Vienne et en particulier Alban Berg dans ses trois pièces pour orchestre. 

Bien que composée pendant la période la plus heureuse de sa vie, la 6e est hantée par la mort et par l’effroi devant l’impossibilité de la conjurer. Au-delà de ce questionnement existentiel, l’œuvre est aussi une allégorie prophétique qui, à l’instar de la 9e Symphonie de Bruckner, semble annoncer les catastrophes du siècle en gestation. 

Pour rendre compte de cet univers eschatologique, certains interprètes -on pense à John Barbirolli, Léonard Bernstein ou Klaus Tennstedt- inscrivent l’œuvre dans un post-romantisme crépusculaire tandis que d’autres, à l’image de Georges Szell, Pierre Boulez et Michael Gielen insistent sur la modernité de l’écriture. Petrenko propose une autre voie et envisage la 6e comme un manifeste expressionniste. Ainsi, ce qui frappe d’emblée et marque l’interprétation d’un sceau absolument singulier, c’est bien l’esthétique sonore imposée à l’orchestre. Écartant tout hédonisme, Petrenko cultive une sonorité drue et émaciée, aux contours anguleux et abrupts. Les cordes, économes en vibrato, surprennent par leur dureté, bois et cuivres privés de leur densité et de leur rayonnement harmonique habituels se distinguent par leurs accents agressifs et véhéments. Revers de ces partis-pris, l’orchestre offre peu d’assise dans le grave et manque de projection. 

Cette esthétique de la laideur, parfaitement défendable dans Mahler et en particulier dans la 6e, déséquilibre néanmoins l’œuvre par son jusqu’auboutisme même. Le premier mouvement peine à trouver le ton juste, animé par un tempo plutôt rapide mais loin d’évoquer la course à l’abîme que doit installer le martellement obsessionnel du rythme de marche qui manque ici d’assise et de verticalité. La polyphonie se noie dans une certaine opacité tandis que les interventions des solistes, bridées dans leur expression, ne se détachent que dans de rares saillies, d’ailleurs brutalement surexposées. Le chef unifie jusqu’au nivellement les climats et les contrastes, impression renforcée par un ambitus dynamique contraint. 

Mahler à longuement hésité sur l’ordre des mouvements intermédiaires, plaçant en première intention le Scherzo devant l’andante avant de se raviser lors de la création de l’œuvre. Comme c’est malheureusement trop souvent le cas aujourd’hui, Petrenko choisit de placer l’andante en deuxième position alors que l’enchaînement de la marche véhémente et implacable de l’Allegro energico initial et de la danse cauchemardesque du Scherzo produit un effet d’accumulation et de saturation bien plus évocateur et surtout plus respectueux de la logique structurelle et expressive de l’œuvre. Dans cet unique moment de répit, le chef déploie un lyrisme pudique et mesuré en jouant sur des pianissimi impalpables et la transparence des textures. Le Scherzo, tendu et convulsif, pousse à leur paroxysme les frottements harmoniques et les dissonances. La tension retombe hélas dans l’immense finale inexplicablement expédié en moins de vingt-huit minutes. Les épisodes se bousculent sans logique apparente et les plans sonores de dissolvent dans la confusion. 

Une interprétation marquée par une radicalité intransigeante mais qui laisse un sentiment d’inachevé et finalement trop inégale dans la durée pour convaincre vraiment. 

Berlin, Philharmonie, 24 janvier 2020

Créditsphotographiques : Monika Rittershaus

Xavier de Larrard

 

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