La clarinette de Raphaël Sévère pour une ultime gravure  de Lars Vogt comme chef d’orchestre

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur K. 622 ; Quintette pour clarinette en fa majeur K. 581. Raphaël Sévère, clarinette ; Quatuor Modigliani ; Orchestre de chambre de Paris, direction Lars Vogt. 2021/22. Notice en français, en anglais et en allemand. 60.36. Mirare MIR626.

Le présent album prend une dimension particulière : il est sans doute le dernier où l’on peut découvrir Lars Vogt, décédé le 5 septembre dernier, trois jours avant ses 55 ans. Le pianiste/chef allemand a laissé de Mozart d’attachantes versions de sonates et de concertos. Cet artiste polyvalent était directeur musical de l’Orchestre de Chambre de Paris depuis 2020. Un CD Ondine consacré à Mendelssohn avait récemment scellé ce partenariat, prématurément interrompu. L’hommage posthume est émouvant.

Enregistré du 6 au 8 octobre 2021 à la Philharmonie de Paris, le Concerto pour clarinette est confié, pour la partie soliste, à Raphaël Sévère (°1994), originaire de Rennes. Il a étudié à Nantes puis à Paris, et compte à son actif, à côté de son activité de compositeur, plusieurs albums chez Mirare, consacrés à Brahms, Weber ou Messiaen. Dans l’entretien qu’il accorde dans la notice à Jean-Baptiste Urbain, Sévère rappelle que dans le concerto de Mozart, écrit quelques semaines avant sa disparition, tel un personnage d’opéra, la clarinette tour à tour rayonne, se fait confidente, intime, murmure à l’oreille d’un ami, jubile à nouveau, se montre tantôt galante, joyeuse, grave, insolente. Il ajoute qu’ainsi, l’instrument devient l’écho de la vie humaine. Ce résumé substantiel prend lui aussi une dimension spécifique lorsque l’on sait que Raphaël Sévère, avant l’enregistrement, a été victime d’un accident domestique et qu’un long repos lui avait alors été prescrit. L’entrée en studio du clarinettiste a donc été un retour à la lumière, par le biais d’une partition qui en est imprégnée.

Le soliste offre une interprétation séduisante de cette partition aux accents maçonniques, au sein de laquelle le chant offre un terrain souple à la virtuosité. La concurrence discographique est rude pour un jeune talent. Les seuls souvenirs de Benny Goodman, Karl Leister ou Sabine Meyer situent le niveau. Dans le cas présent, soutenu avec fraîcheur et brio par la formation menée par Lars Vogt, Sévère livre une version réjouissante, avec un Allegro initial qui sait ce que le terme dialogue signifie en termes de souci du détail et de fantaisie. Un soin particulier est accordé à l’Adagio. La tendresse y est omniprésente, le chant est plein d’émotion libérée. Quant au Rondo Allegro final, il s’anime d’une intense joie, soulignée par un souci d’élévation qui exprime un vrai bonheur de vivre. Cette nouvelle gravure vient s’installer tout près des grands anciens cités.

Le complément est de haute volée. La cohérence est au rendez-vous dans ce programme, avec le Quintette pour clarinette et cordes, achevé en septembre 1789, lui aussi d’inspiration maçonnique. Raphaël Sévère souligne le fait qu’il a joué de nombreuses fois avec les Modigliani et que travailler, réfléchir à leurs côtés, donne toujours lieu à des moments privilégiés. Cette gravure, effectuée les deux premiers jours de février 2022 à Paris, en la salle Colonne, en est un. On connaît la valeur et le niveau des Modigliani, ainsi que la densité qu’ils apportent à leurs interprétations (leur magnifique intégrale, récente, des quatuors de Schubert !). Ici, ils savent fournir au soliste un espace qui lui permet de développer toutes les vibrations qu’il transmet. C’est le cas dans l’Allegro, brillant, le Larghetto raffiné, ou le Menuetto, qui offre aux cordes une intensité qui ouvre la porte aux aspects bucoliques énoncés par la clarinette. Le tout s’épanouit dans les variations d’un Allegretto final où la diversification des thèmes mozartiens est illuminée par Raphaël Sévère. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix