La jeunesse pianistique inconnue de Daniel Jones

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Daniel Jones (1912-1993). Rediscovered piano Works 1933-1949. Préludes, Divertimento, Suite Académique, Etudes de concert, Thèmes et variations, Capriccio, Fantaisies, Légende, Sonatine, Caprices, Romance, Lento malinconico, Suite n°8, Sonate n° 6. Martin Jones, piano. 2019-2021. Notice en anglais. 243.00. Un coffret de 4 CD Lyrita SRCD.2396

Daniel Jones (1912-1993). Piano music, a selection. Prélude, Divertimento, Thème et variations, Légende, Sonatine, Humoresque, Fantaisie, Lento malinconico. Martin Jones, piano. 2021. Notice en anglais. 61.04. Lyrita SRCD.410.

Le label Lyrita a déjà bien documenté l’œuvre du compositeur gallois Daniel Jones, notamment en publiant en six CD l’intégrale de ses treize symphonies, composées entre 1944 et 1992 (nous avons évoqué la troisième et la cinquième, le 21 mai 2021). Chandos, de son côté, a proposé ses quatuors, le huitième et dernier étant inachevé. Ami de Dylan Thomas (1914-1953) dont il a été le condisciple, Daniel Jones a mis en valeur l’œuvre de cet éminent poète par des publications et des pages musicales sur ses textes. Né à Pembroke, au sud-ouest du Pays de Galles, cité célèbre pour son château moyenâgeux, dans une famille de musiciens, le jeune Daniel se forme à Swansea, puis à la Royal Academy of Music de Londres. Il compose tôt des pièces pour piano et des pages orchestrales, mais la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle il est officier de renseignements, ralentit une activité créatrice qui reprendra toute sa vigueur après le conflit et ne se démentira pas au long des cinquante années qui lui restent à vivre. 

Daniel Jones a laissé un catalogue abondant, au sein duquel il a utilisé aussi bien les techniques tonales que sérielles, mais sa contribution à la musique pour piano est très peu connue. Il en est en partie responsable, car il a lui-même considéré, ainsi que l’explique Paul Conway dans son intéressant texte de présentation, que son œuvre symphonique était prioritaire et il a même dénigré ses compositions pianistiques et chambristes d’avant-guerre. Ce coffret met donc en évidence des aspects inédits de son répertoire. C’est son homonyme anglais, le pianiste Martin Jones (°1940), dont la discographie prolifique va de Czerny à Chostakovitch, en passant par Debussy, Rachmaninov, Granados ou Strawinsky, et comprend aussi maintes partitions peu fréquentées, qui parcourt ici un vaste panorama de la jeune créativité du compositeur gallois.

L’interprète explique dans une note qu’il a rencontré Daniel Jones pour la première fois en 1972, au moment où il préparait, avec la violoncelliste Sharon McKinley, la sonate que le compositeur avait écrite pour leur duo. Il ajoute qu’à l’époque, la seule page pour piano connue de Daniel Jones était des Bagatelles, (première gravure mondiale par Llyn Williams, Tŷ Cerdd, 2015), mais le créateur déclara qu’il n’était plus intéressé par l’instrument depuis très longtemps. Au début de l’année 2017, près de vingt-cinq ans après sa disparition, Martin Jones a eu accès à une série de manuscrits conservés dans les archives de la Bibliothèque Nationale du Pays de Galles, à Aberystwyth, et a eu l’heureuse surprise d’y découvrir de nombreuses oeuvres complètes de Daniel Jones, toutes datées. Leur rédaction, claire et précise, montre leur destination pour le concert ou la publication. C’est cet éventail des années 1933 à 1949 qui est ici proposé. Après, le compositeur se détournera du piano.

Le programme est construit dans une alternance de morceaux brefs et de compositions de vastes dimensions, dont certaines dépassent la demi-heure. Le premier disque, cohérent, propose une affiche 1933-1936, avec un Prélude en ré mineur, un Divertimento, une Suite académique et deux Etudes de concert. Les trois autres mélangent les années, entre 1934 à 1949. La numérotation de la Suite académique de 1934, avec son chiffre 6, celle de la Suite n° 8 de 1936 et la Sonate n° 6 de 1939 laissent supposer qu’il y en a eu d’autres, peut-être détruites par le compositeur. On ne les trouvera pas dans cet éventail de pages révolutionnaires ; elles sont globalement de nature tonale, sous forme d’improvisations, de miniatures, de vignettes, de croquis lyriques, de fantaisies teintées d’un humour léger, le tout nourri par une inventivité mélodique, caractérisée par des rythmes, des couleurs et des nuances qui inscrivent Daniel Jones dans un paysage en réminiscence de l’impressionnisme, mais aussi dans la tradition anglaise ancienne (Jones adulait Purcell) ou à la manière des créateurs nationaux de son époque, comme Arnold Bax. L’expressivité et l’émotion, voire la passion, sont souvent au rendez-vous. Notamment dans les pages plus élaborées que sont la Sonate n° 6 de 1939 ou le Thème, Variations et Fugue de 1945, de vastes dimensions qui montrent que le compositeur a peut-être eu tort de délaisser le piano.

En même temps que ce coffret de quatre CD, Lyrita propose une sélection en un disque de huit œuvres extraites de cette anthologie signée par Martin Jones. Elle reprend des pages significatives, comme la Sonatine en la mineur, trois mouvements de 1943 aux accents tragiques (un effet de la guerre ?) et solennels, la Légende lyrique de 1941 ou le Lento malinconico de 1949, d’une noble hauteur de vues, dernier moment consacré au piano par le compositeur avant qu’il ne se désintéresse du clavier. On peut se contenter de ce seul disque : il est représentatif du legs de Daniel Jones dans ce domaine. L’interprète est à saluer, non seulement pour son audacieuse curiosité, mais surtout pour son investissement et sa capacité à rendre vivante cette musique jusqu’ici inconnue.

Son : 9  Notice : 10   Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

 


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