La nature dans la musique de chambre

par

Bohuslav Martinu (1890-1959) : Intégrale des Sonates pour violoncelle et piano – Olli Mustonen (1967) : Sonate pour violoncelle et piano – Jean Sibelius (1865-1957) : Malinconia op.20
Steven isserlis, violoncelle – Olli Mustonen, piano
2014-SACD-78’15-Textes de présentation en anglais, allemand et français-BIS 2042

Les Sonates pour violoncelles et piano de Martinu, peu souvent interprétées en public, bénéficient d’un charme avéré. La première et la plus dramatique des trois se dessine alors que les nazis envahissent la Tchécoslovaquie, patrie du compositeur. Un peu plus tôt, il tombe amoureux de la jeune Vitezslava Kapralova, étudiante à Paris auprès du maître. Avec des amourettes interrompues lorsqu’elle se marie à un jeune écrivain, elle meurt à l’âge de 25 ans en prononçant « Julietta », certainement le nom de l’héroïne éponyme d’un des opéras de Martinu. Couleurs funèbres, tragiques et sombres pour cette sonate en période de guerre aux mouvements caractérisés par une ambiance et un inébranlable élan rythmique. Fuyant aux Etats-Unis en 1941, Martinu écrit sa seconde sonate en guise de remerciement à Frank Rybka, également violoncelliste tchèque. Même énergie bien que le caractère général soit plus grandiose et impressionnant, à l’image de sa terre d’accueil. Martinu écrit sa dernière sonate dix ans plus tard. Dédiée à la mémoire de Hans Kindler, on y décèle une ambiance curieusement festive tant dans les mouvement lents que rapides, en écho à la demande du violoncelliste et chef d’orchestre : « un mouvement tiré de l’un des meilleurs quatuors de Mozart – absolument pas un qui soit lent et triste mais, par exemple, un bon rapide. Dans le même esprit, je recommande à mes amis et mes proches de manger et de voir et d’être joyeux, tout de suite après les funérailles, pour se souvenir de moi dans cet état d’esprit plutôt que de pleurer quelqu’un dont la vie a été si agréablement remplie ». De Sibelius, les deux artistes interprètent Malinconia, une image bouleversante de la Sonate n°1 écrite 39 ans plus tôt. Les couleurs dramatiques face aux envolées pianistiques offrent au violoncelle une mélodie intime, proche de la nature avec des sonorités qui ne manquent pas d’évoquer les régions forestières de Finlande (faut-il rappeler que Sibélius écrit cette pièce peu après la mort de sa fille ?) Belle surprise avec la Sonate de Olli Mustonen, en réponse à l’œuvre de Sibelius : quatre mouvements courts évoquant à nouveau la nature et les anciennes légendes. Avec ce premier enregistrement mondial se développe une ligne mélodique ininterrompue par un piano fluide. Langage moderne avec le troisième mouvement, un scherzo frénétique avant le finale envoûtant.
Les deux artistes captent facilement le sens des œuvres et offrent une lecture éclairée. L’œuvre de Martinu prend tout son sens après l’excellente présentation de Steven Isserlis. Ces couleurs si caractéristiques et cette émotion qui touche l’œuvre des compositeurs tchèques sont contrôlées avec justesse. Le ton déclamatoire des mélodies n’est à aucun moment surpassé par le piano tandis que le dialogue entre les deux artistes semble évident. On parlera davantage de narration, de flux continu plutôt qu’une forme aboutie tant le discours présenté ici est intelligemment construit. Le violoncelle expressif répond parfaitement à l’accompagnement délicat et discret. Voilà un disque aux couleurs de la nature rendant hommage à un artiste prolifique et pourtant si peu joué. Le langage de Martinu, certes moderne, ne surprend pas l’auditeur, il le captive. A découvrir.
Ayrton Desimpelaere

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10

 

Les commentaires sont clos.