La Philharmonie de Luxembourg se déconfine Alina Baeva et Vadym Kholodenko
Atmosphère, atmosphère…
Ils entrent sur le plateau, ils saluent, ils se concentrent, et les premières notes s’élèvent de la Fantaisie pour violon et piano en ut majeur de Schubert. Un concert comme un autre ? Pas vraiment…
C’est qu’il y a eu, en mars, l’annulation brutale de tous les rendez-vous programmés, des dizaines et des dizaines dans cette grande maison qu’est la Philharmonie de Luxembourg. Et depuis, le silence… Un silence obligatoire, mal vécu, aussi bien par les artistes et les organisateurs que par les spectateurs. Moi-même, j’ai parlé d’«amputation». C’était le temps du confinement.
Voici venu celui du déconfinement, étrange pour nous tous qui fréquentons les salles de concert.
Impatience, appréhension.
L’horaire déjà est inhabituel, 19 heures, et pour une heure seulement de concert : deux œuvres sans entracte, mais deux belles œuvres ! Je reviendrai dans un autre article sur cette formule, qui me semble fort intéressante pour l’avenir de cette musique qui a notre prédilection.
La vie sociale est drastiquement réduite. Il s’agit en effet de se conformer à un protocole strict : se laver les mains dès l’entrée, se tenir à distance respectable -prophylactique- les uns des autres, porter le masque, résister à l’envie de serrer des mains ou d’embrasser l’un(e) ou l’autre, ne pas s’attarder dans le foyer -pas question de boire un verre et de papoter, gagner rapidement sa place «réservée»…
Vu du haut, le Grand Auditorium de la Philharmonie doit apparaître comme un étrange archipel. En temps normal, 1500 personnes s’y retrouvent dans un joyeux brouhaha. Ce soir, ils ne sont que 250 spectateurs, règlementairement installés. Et voilà que l’on regrette d’être ainsi bien à l’aise. Les vibrations d’un concert naissent également de la proximité qu’il suppose.
Les deux solistes ont eux aussi manifestement reçu des consignes : plus tard, au moment des saluts, deux mètres cinquante les sépareront. Mais un geste du bras et un sourire diront leur envie de se congratuler, de se féliciter de leur beau travail conjugué.
Un bonheur de concert
Les deux jeunes interprètes : Alina Baeva, violoniste, et Vadym Kholodenko, pianiste, tous deux évidemment récompensés par de multiples prix, solistes accompagnés régulièrement par de grands orchestres et dirigés par de grands chefs. Mais surtout, et c’est important ce soir, voilà une dizaine d’années qu’ils se retrouvent pour des récitals en duo. Et cela se ressent très vite.
Au programme, la Fantaisie en ut majeur pour violon et piano D.934 de Schubert et la Sonate n° 9 en la majeur, la Kreutzer, de Beethoven. Deux œuvres qui, notamment dans leurs passages en variations ou reprises, permettent d’apprécier non seulement la virtuosité mais aussi et surtout la musicalité de leurs interprètes, et leur complicité de lecture et de jeu.
Dans ce tout «Grand Auditorium», dans cet «archipel» dont la configuration éclatée des spectateurs dispersait un peu la propagation des sons, Alina Baeva -et son magnifique «ex-William Kroll» Guarneri del Gesù- n’a pas craint le jeu retenu : elle a créé et fait vivre une belle atmosphère d’intimité chambriste, en parfait équilibre d’ailleurs avec les épisodes plus acrobatiques. Vadym Kholodenko a été pour elle un compagnon sensible et délicat dans cette approche.
Et, c’est d’ailleurs une caractéristique de ces deux œuvres, Alinea Baeva et Vadym Kholodenko se sont réjouis comme ils nous ont réjouis des superbes dialogues, échanges et affrontements qu’elles offrent à leurs deux instruments.
A la fin du concert, on aurait voulu en parler avec des connaissances et amis spectateurs… il a fallu quitter les lieux sans tarder, comme à la queue leu leu… Mais ce concert -et les quatre autres du même type organisés par la Philharmonie avant la pause des vacances d’été- a été une sorte de victoire contre un (in)certain virus…
Stéphane Gilbart
Luxembourg, Philharmonie, le jeudi 2 juillet 2020
Crédits photographiques : Stéphane Gilbart