Beethoven sans chef... mais non sans direction !

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Pour ce concert, les musiciens de la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême étaient dirigés, si l’on peut dire, par Florian Donderer, son premier violon solo depuis 1999. Si l’on peut dire, car en réalité, il intervient très peu. Il s’agissait plutôt de musique de chambre à grande échelle.  Au programme, actualité oblige, Beethoven. Le Concerto pour violon, avec Christian Tetzlaff, et la Septième Symphonie.

Tetzlaff joue le Concerto de Beethoven depuis qu’il a quatorze ans. Cela fait donc presque quarante ans. Fait assez exceptionnel, il l’a déjà enregistré trois fois : en 1994, en 2005 et en 2018. À noter que c’est également le cas pour les Sonates et Partitas pour violon seul de Bach (là, il est même le seul). Et il a encore de nombreuses années de carrière devant lui ! Depuis son premier concert avec cette œuvre, en 1981, il joue des cadences qu’il a lui-même remaniées, d’après celles que Beethoven avaient composées pour sa version pour piano de ce concerto, et dans laquelle il avait prévu une partie de timbales, instrument tellement important dans ce concerto. En 2009, Tetzlaff a publié ces cadences. À part quelques rares passages où l’écriture du piano se prêtait assez mal à une adaptation au violon, le violoniste est resté très proche du compositeur. Et puis, il faut bien avouer que, par moments, Beethoven se laisse aller à un certain bavardage. Quand on connaît sa réputation d’improvisateur, on se dit que l’effet devait être saisissant en concert. Mais, fixé à l’avance, cela peut diluer quelque peu le propos, et ce léger resserrage de Tetzlaff permet de gagner en intensité. Dans la notice de la partition, il demande des baguettes particulièrement sèches. C’est un souhait qu’il a dû émettre au fil des années, car il n’est pas pris en compte dans son premier enregistrement.


Dans celui-ci, en 1994, Tetzlaff est d’une pureté stylistique qui force l’admiration, et l’Orchestre Symphonique de la Südwestfunk, dirigé par Michael Gielen, se montre énergique et généreux. À l’exception de celle qui sert de transition entre le mouvement lent et le finale, il joue donc ses propres cadences, mais celle du premier mouvement est plus longue que celle qu’il jouera par la suite (il est d'ailleurs permis de regretter que quelques jolies choses aient disparu). À noter qu’en une vingtaine d’endroits, et parfois sur d’assez longs passages, il ne joue pas textuellement la partition éditée, mais des variantes plus ou moins conséquentes. Les a-t-il trouvées dans les nombreuses esquisses que Beethoven a laissées ? Sont-elles de son cru ?

En 2005, il renonce à toutes ces variantes et joue ce que nous avons tous dans l’oreille. Cela nous permet de saisir encore mieux à quel point ses conceptions musicales, qui se sont affirmées depuis, sont abouties. Il joue exactement les mêmes cadences que celles qu’il a publiera quelques années plus tard. L’Orchestre de la Tonhalle de Zürich, dirigé par David Zinmann, est très robuste, presque brutal.

Dans son dernier enregistrement, réalisé en concert il y a à peine plus d’un an, Tetzlaff conserve les mêmes choix de cadences et de texte. L’évolution n’est pas moins évidente : il y est d’une plénitude saisissante. Ses intentions musicales vont encore plus loin, tout en donnant un sentiment plus fort d’unité et cohérence. Du grand, très grand art. Le Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin, dirigé par son nouveau chef Robin Ticciati, est parfaitement au diapason.

Lors du concert, il y avait également une merveilleuse complicité avec l’orchestre. L’écoute mutuelle sautait aux oreilles. Ni le soliste, ni le violon solo (qui se connaissent très bien, puisque le second a épousé la sœur du premier) n’avaient besoin de solliciter les musiciens. Tous étaient dans la même aventure. 

Dans le premier mouvement, il y avait une telle intensité, une telle profondeur, qu’on se serait cru observer, au microscope, un organisme vivant tout juste créé. Dans le mouvement lent, d’une sérénité absolue, avec un violon d’une stupéfiante et virevoltante légèreté, on imagine que le Créateur est lui-même bouleversé par sa création. Et dans le finale, c’est comme si cette créature prenait vie, dans un élan d’une vitalité inouïe. Tous étaient dans une magnifique osmose, avec un orchestre d’une bien belle présence, ses cuivres (pourtant seulement deux trompettes et deux cors) lui donnant une couleur rayonnante.

En bis, la Gavotte en mi majeur de Bach, qui commence étonnamment avec la même énergie que celle du concerto pour ne retrouver un relatif calme qu’à la fin.

Jouer un concerto sans véritable chef d'orchestre, mais avec un soliste et un violon solo, c’est une chose. Qu’allait-il en être avec une symphonie, et avec celle-là, la Septième, qui est loin d’être la moins symphonique des neuf ? Quand on l’a découverte dirigée par Furtwängler, on se dit que ce sera forcément une autre histoire (même si, physiquement, Florian Donderer a une stature qui, de loin, peut évoquer le grand -c’est le cas de le dire- chef allemand, calvitie comprise). Est-ce que cela ne risque pas de manquer de vision ? d’être plus anecdotique que métaphysique ? 

Le premier mouvement, malgré un évident plaisir de jouer et une énergie communicative, ne lève pas complètement les doutes. On est pris dans l’histoire, certes, mais où cela va-t-il nous mener ? Le deuxième mouvement, le fameux Allegretto, que l’orchestre a la bonne idée d’enchaîner avec le précédent (malgré quelques tentatives d’applaudissement du public, selon un usage qui tend donc à se développer), grâce à une formidable tension, emporte l’adhésion. Là, il n’y a plus de doutes : nous sommes bel et bien embarqués. Les deux pupitres de violons, l’un en face de l’autre, se répondent admirablement. L’orchestre a un son incroyablement dense dans les tutti, mais il est capable de textures beaucoup plus légères. Donderer n’intervient finalement guère davantage que pour le Concerto ; tout au plus, et rarement, pour accentuer certaines nuances ou pour prévenir d’éventuels et très légers décalages. Ce rapport entre les instrumentistes et leur chef (qui, donc, n’en est pas vraiment un, mais reste l’un des leurs) nous rappelle notre excellent ensemble des Dissonances (les musiciens allemands sont sensiblement de la même génération, et au moins aussi paritaires) et David Grimal. Cette Septième Symphonie, sans doute la plus dionysiaque des neuf, finit par nous emporter dans toute sa fougue impétueuse.

En bis, l’orchestre fait preuve d’une indéniable virtuosité avec la courte ouverture Les Créatures de Prométhée. Nous sortons de ce concert plein de l’énergie de Beethoven, et de ces formidables musiciens !

Paris, Théâtre des Champs-Élysées, le 13 février.

Crédits photographiques : Giorgia Bertazzi

Pierre Carrive

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