A Genève, un Budapest Festival Orchestra démesuré
Pour une série de trois concerts à Zurich, Berne et Genève, le Service Culturel Migros invite le Budapest Festival Orchestra sous la direction d’Iván Fischer qui en fut le fondateur en 1983.
Le programme est entièrement consacré à Johannes Brahms. Chacune des parties s’ouvre par l’une des Danses Hongroises, avec l’idée de dissiper l’image sévère que peut suggérer ce docte musicien. Ainsi, la 10e en fa majeur, orchestrée par le compositeur lui-même, tient du bastringue à saveur folklorique, tandis que la 7e, elle aussi en fa majeur, instrumentée par Iván Fischer , s’alanguit par un rubato teinté d’ironie.
La première des œuvres majeures figurant à l’affiche est le 2e Concerto pour piano et orchestre en si bémol majeur op.83, élaboré entre 1878 et 1881. A l’écoute de la longue introduction orchestrale emmenée par le cor, s’impose une constatation. Dans une salle aux dimensions restreintes comme le Victoria Hall, faut-il réellement utiliser seize premiers et seize seconds violons pour accompagner une œuvre concertante ? Délibérément amplifiée, la sonorité des cordes paraît filandreuse et manque singulièrement d’unité, nous donnant l’impression que chacun des instrumentistes tient à faire entendre sa partie. Mais leur ensemble résiste à l’attaque des cors qui s’en donnent à cœur joie pour conduire le ballet des instruments à vent. Et l’on ne peut s’empêcher de penser à un certain La Fontaine et à sa grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf… Néanmoins, Iván Fischer joue la politique des contrastes d’éclairage en allant jusqu’au pianissimo le plus ténu pour seconder le soliste, le pianiste ukrainien Vadym Kholodenko, lauréat du Concours Van Cliburn 2013, remplaçant Yefim Bronfman, malade. Dès les formules en arpèges du début, le soliste impose un jeu clair qui s’intériorise dans la première cadenza avant de s’étoffer d’une patine brillante dans les élans pathétiques accumulant les sauts de tessiture et les accords martelés. Cette fougue irrépressible emporte le scherzo que le contre-sujet fluidifiera, alors que le violoncelle solo imprègne d’une tristesse lancinante le cantabile que le clavier irisera d’arpèges arachnéens. Et l’Allegretto grazioso conclusif effleure la touche en un badinage virtuose faisant effet sur le public que le pianiste remercie par un bien inattendu Embarquement pour Cythère de Francis Poulenc.
En seconde partie, la Deuxième Symphonie en ré majeur op.73 est échafaudée sous un ample legato des cors s’appuyant sur les cordes graves afin d’insuffler au discours un dynamisme opposant les blocs sonores. La ligne de chant des violoncelles voile d’une apparente sérénité l’Andante non troppo sans pouvoir éviter de sporadiques crispations amenant à un paroxysme tragique qui se résorbera en demi-teintes tristes. L’Allegretto grazioso suscite un climat bucolique avec cette légèreté de ländler que les cordes aciduleront par un staccato rageur, tandis que le Final affiche une exubérance jubilatoire parvenant à une coda tonitruante à épater le bourgeois. Et devant l’enthousiasme général, chaque musicien dépose son instrument et se munit d’une partition chorale pour chanter l’une de ces mélodies populaires nous montrant un autre Brahms.
Genève, Victoria Hall, le 16 février 2024
Crédits photographiques : Marco Borgrreve