La pianiste Katie Mahan à la recherche du monde intérieur de Beethoven

par

Appassionata. Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Bagatelles op. 126 ; Sonates pour piano n° 23 op. 57 « Appassionata » er n° 30 op. 109. Katie Mahan, piano. 2020. Notice en anglais. 69.21. Steinway and Sons 30161.

L’Américaine Katie Mahan, née à Denver dans le Colorado, décide de devenir pianiste à l’âge de quatre ans après avoir entendu un concert des sœurs Labèque. Elle étudie d’abord avec sa mère (son père est physicien) et donne son premier récital deux ans plus tard. Sa formation va se dérouler avec Robert Spillman dans le cadre de l’University of Colorado College of Music de Boulder, à une cinquantaine de kilomètres de Denver. Elle prolonge son apprentissage auprès de Pascal Rogé qui lui fait ressentir les impressionnistes français, et suit des masterclasses de Lang Lang, Simon Trpceski ou Michel Béroff. Fascinée par la musique de Gershwin, elle s’investit dans la connaissance de son œuvre ; lorsqu’elle débute avec orchestre, c’est le concerto du compositeur de Porgy and Bess qu’elle choisit. Elle va enregistrer quelques CD autour de Gershwin, mais aussi l’intégrale de la musique pour piano seul de Leonard Bernstein. A travers ses prestations, elle s’investit pour les causes médicales, humanitaires ou éducatives, Elle finit par s’installer à Salzbourg, qu’elle considère comme la cité idéale de la musique, tout en conservant des attaches régulières avec sa ville natale. Elle combine Gershwin et Beethoven dans ses programmes de 2019. 

En cette année de commémoration des 250 ans du maître de Bonn, elle signe le présent récital. Elle explique dans la brève notice qu’elle a choisi un parcours à travers le monde intérieur de Beethoven : En voyageant de sa dernière œuvre pour piano à la bien-aimée sonate Appassionata, nous entendons l’expression de ses émotions et de ses passions, et sommes témoins de sa transformation en tant qu’artiste et en tant qu’homme. Dans les vingt années qui séparent les Bagatelles de l’Appassionata, nous sentons la colère se transformer en humilité et la peur en sérénité. Plus loin, Katie Mahan précise que, pour elle, ces œuvres incarnent l’essence du voyage de la vie de Beethoven. Elles ne parlent pas seulement de la tourmente qui existait dans son monde intérieur mais aussi de l’acceptation en la prophétie de sa vision du futur.  

On sent que Katie Mahan a mûrement réfléchi son projet, dans lequel elle s’investit complètement. Trois photographies la montrent se promenant, silhouette mince pour ne pas dire gracile, dans un milieu forestier ; sur l’une d’elles, son regard se porte vers les nues, comme si elle approfondissait sa réflexion avant de se lancer dans cet ambitieux portrait choisi de Beethoven (à moins que sa marche dans la nature ne soit celle de la gratitude pour le compositeur). C’est donc par le dernier des trois recueils de Bagatelles que s’ouvre ce récital. Ecrites en 1823/24, Beethoven considérait ces six pièces comme un « cycle » de miniatures ; la richesse des couleurs et la perfection de ton y rivalisent avec la clarté structurelle. On passe ainsi du lyrisme au ton capricieux, de l’ornementation à l’énergie, de la délicatesse à l’expressivité. Katie Mahan y fait preuve de beaucoup de sensibilité, elle leur apporte une densité qui se nourrit d’intimité mais aussi de charme et de profondeur. Elle se lance ensuite dans la Sonate n° 30 op. 109 avec franchise et sobriété, mais avec un sens vivant des rythmes qu’elle ne précipite pas, mais laisse se dérouler. Le Vivace initial contient une part de rêve que Katie Mahan prolonge en diction à climat déclamatoire avant de donner au Prestissimo un caractère fier et énergique. Comme le souhaitait Beethoven lui-même, l’Andante est très chantant et Katie Mahan prend son temps à nouveau, mais sans excès de lenteur, pour laisser les différentes indications (cantabile, temeramente, piacevole) se développer en expressions variées. 

C’est dans l’opus 57, la Sonate n°23 publiée en 1807, que la pianiste laisse son tempérament se donner libre cours, en livrant un témoignage engagé qui séduit l’auditeur par une sérénité euphorique qui va aller en grandissant. Le tempo est toujours ample, parfois étiré, c’est une constante ; la technique détaille les timbres avec clarté et souplesse, elle confère à l’Allegro assai un espace de mystère et de tension combinés qui sont de l’ordre de la passion. Avec beaucoup de franchise et un grand sens de l’élan -et on se rappelle dès lors que la fougue de Gershwin l’habite- Katie Mahan adopte une conception qui lui convient à merveille : un sens dramatique mêlé à la noblesse du ton. L’Andante qui suit accentue la retenue sans épaissir le trait, la capacité de méditation et la solennité. Dans l’Allegro ma non troppo final, la pianiste s’abandonne avec volupté à cette course à l’abîme, avec une grande force tourmentée.

Ce CD risque de passer inaperçu dans l’abondance (la pléthore !) de gravures des 250 ans. Et l’on pourra objecter que le tempo est trop lent. On aurait tort pourtant de passer à côté de ces trois partitions jouées par Katie Mahan, qui les a sélectionnées dans le souci de partager le respect qu’elle éprouve pour Beethoven au long de ce « parcours à l’envers ». Celui-ci est bien servi par la profondeur de son d’un Steinway rond et généreux, prêté par la Maison Steinway de Berlin, pour cet enregistrement effectué en l’historique Meistersaal.

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 8

Jean Lacroix   

 

  

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.