La savoureuse musique légère de Ronald Binge
Ronald Binge (1910-1979) : Elizabethan Serenade ; Scottish Rhapsody ; Miss Melanie ; Las Castañuelas ; Madrugado ; The Red Sombrero ; Trade Winds ; Faire Frou-Frou ; String Song ; Concerto pour saxophone alto et orchestre ; The Watermill ; Scherzo : Allegro molto ; The Dance of the Snowflkakes ; High Stepper (The ‘Aggie’ Theme) ; Prélude : The Whispering Valley ; Venetian Carnival ; Sailing By. Kenneth Edge, saxophone ; Orchestre symphonique de la Radio slovaque, direction Ernest Tomlinson. 1992. Notice en anglais. 72.26. Naxos 8.555190.
Retour au catalogue d’un programme paru en 1994 sous étiquette Marco Polo. Ce numéro 2 d’une série « British Light Music » vient s’ajouter à un récent disque consacré à des pages de Richard Addinsell, l’auteur du Concerto de Varsovie. C’est aussi un hommage au compositeur et chef d’orchestre Ernest Tomlinson (1924-2015), originaire du Lancashire, qui fonda en 1969 le Northern Concert Orchestra dont les programmes s’ouvraient à la musique contemporaine et qui enregistra beaucoup d’œuvres destinées au cinéma et à la télévision. Dans les années 1960, Tomlinson avait déjà gravé une série de pièces de Ronald Binge. C’est la veuve de ce dernier qui insista pour que lui soit confiée la direction du présent projet : elle considérait que c’était le meilleur défenseur de la musique de son mari. On ne peut que donner raison à Vera Binge pour ce choix, car Tomlinson arrive à insuffler à la formation slovaque un certain esprit de légèreté britannique.
On aurait tort de négliger un tel répertoire, alerte et frétillant, d’autant plus qu’en cours d’audition, on est attiré par des pages familières comme ce Venetian Carnival, dont le thème basé sur la chanson populaire napolitaine O mamma, mamma cara a été utilisé par Nicolo Paganini pour une série de variations pour violon seul en 1829, et a connu une série d’arrangements, notamment pour brass band. Les habitués des ondes anglaises reconnaîtront aussi Sailing By dont les cent soixante secondes ont servi pendant plusieurs années d’air pour les prévisions maritimes à la fin des émissions de la chaîne BBC Radio 4. Né à Derby, Ronald Binge devient choriste à l’église locale et reçoit des leçons d’orgue et de piano. Bientôt, ce sera le contrepoint et l’harmonie. Il se produit comme accompagnateur de films muets, ce qui lui donne une belle capacité d’improvisation et l’occasion d’entrer en complicité avec un orchestre, au sein duquel il évolue comme pianiste.
Binge fait la connaissance en 1935 du compositeur, violoniste, arrangeur et chef d’orchestre Annunzio Paolo Mantovani (1905-1980) qui vient de créer sa propre formation et va devenir célèbre dans le domaine de la musique légère en utilisant son seul patronyme. Binge collabore avec Mantovani jusqu’en 1939, notamment pour des émissions de télévision dont la vogue naissante ne cesse de s’amplifier. Appelé sous les drapeaux en 1940, il rejoint la Royal Air Force ; caserné à Blackpool, il fait partie de l’orchestre. Il se lance de plus en plus dans la composition et l’arrangement. Dès 1946, il est de l’aventure de la comédie musicale Pacific 1860 de Noël Coward (1899-1973) et renoue avec Mantovani, formant avec lui une association jusqu’en 1951. A partir de cette date, Binge écrit pour le cinéma, notamment américain (une cinquantaine de musiques de films) et se voit attribuer une émission de radio. La copieuse notice, signée par Ernest Tomlinson, reprend tous les détails d’une carrière qui va s’avérer féconde et populaire.
Ce CD propose un choix dans le vaste répertoire de Ronald Binge, à savoir dix-neuf compositions qui s’étendent de 1945 à 1963. C’est un échantillon vraiment représentatif de sa production et des multiples inspirations qui ont guidé ses créations. Tout au long de ce parcours distrayant, on passe du rythme de boléro de Madrugado (1945) au soleil mexicain de The Red Sombreo (1947) ou à la Danse des Flocons de neige (1956), qui permet d’apprécier le fameux son des violons « en cascades » de la formation de Mantovani, qui mettra souvent Binge à son affiche. Mais on va aussi aux Folies-Bergères avec Faire Frou-Frou (1957). Le ton « british » est donné dès l’entrée avec l’Elizabethan Serenade, créée par Mantovani en 1951, dont la saveur mélodique se nourrit d’un charme dansant et de rythmes contrastés. L’œuvre a connu une popularité immédiate, qui ne s’est jamais démentie dans les pays anglo-saxons. Binge a une vraie science de l’orchestration : il met en valeur les capacités des vents et des cuivres, offre aux cordes des tapis de sonorités moelleuses et sait comment placer la percussion là où elle va faire mouche.
On s’intéressera particulièrement au Concerto pour saxophone alto de 1956, destiné au Festival de musique légère inauguré par la BBC cinq ans auparavant. Binge dirigea lui-même la création avec le BBC Concert Orchestra et le célèbre saxophoniste Michael Krein (1908-1966). Dans le présent enregistrement de cette partition en trois mouvements, c’est l’irlandais Kenneth Edge qui se charge du jeu versatile et lyrique de l’instrument, dont le superbe Andante espressivo exploite toute la charge émotionnelle. On notera aussi la présence de la pianiste Silvia Cápová dans la mystérieuse et allusive Whispering Valley qui distille la délicatesse d’une émouvante romance. Sous la baguette convaincue d’Ernest Tomlinson, grand spécialiste de ce type de musique, l’Orchestre Symphonique de la Radio slovaque joue le jeu de la finesse et de la mélodie populaire de bonne compagnie, qu’une phalange purement britannique aurait peut-être rendue encore plus idiomatique. Mais il ne faut pas bouder son plaisir quand il se présente !
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 8,5
Jean Lacroix