L'art d'Alisa Weilerstein
Solo
Alisa Weilerstein (violoncelle)
Zoltán KODÁLY (1882-1967) Sonate, op. 8 pour violoncelle seul
Osvaldo GOLIJOV (1960) Omaramor pour violoncelle seul
Gaspar CASSADÓ (1897-1966) Suite pour violoncelle seul
Bright SHENG (1955) Seven Tunes Heard in China
2014-DDD-78’09-Textes de présentation en anglais, français, allemand-Decca 478 5296
La jeune violoncelliste américaine Alisa Weilerstein (déjà remarquée pour ses récents enregistrements des concertos d’Elgar et Carter avec Daniel Barenboim et la Staatskapelle de Berlin, et de Dvorak avec Jiri Belohlavek et la Philharmonie Tchèque) a fait le pari de consacrer son premier enregistrement solo, plutôt qu’aux inévitables Suites de Bach, à la monumentale Sonate de Kodály, véritable Everest du répertoire pour violoncelle, qu’elle attaque sans crainte et avec un engagement de chaque instant. Extraordinairement concentrée, son interprétation d’une brûlante intensité emporte tout sur son passage. C’est peu dire que l’auditeur reste stupéfait devant la grandeur sauvage de la musique et une interprétation qui ne vous lâche pas de la première à la dernière note et vous serre comme dans un étau. La stupéfiante intensité du jeu d’Alisa Weilerstein la rapproche de certains de ses plus illustres prédécesseurs comme Paul Tortelier (de qui elle n’a cependant pas -encore?- l’aristocratique élégance dans les moments lyriques) et, plus encore, la regrettée Jacqueline Du Pré que son jeu incandescent rappelle irrésistiblement, même si le son un peu rauque de son violoncelle anglais William Forster de 1790 n’a pas la beauté de celui du Stradivarius de la violoncelliste britannique dont la carrière fut si tragiquement interrompue par la maladie. Quoi qu’il en soit, c’est un véritable tour de force que nous donne là cette artiste remarquablement douée, tant sa maîtrise technique et musicale se révèle à la hauteur de cette grande et austère oeuvre, dont elle domine magnifiquement les exigences et les rugosités.
Evidemment, le reste du programme aurait pu paraître bien pâle après une si belle entrée en la matière, mais Alisa Weilerstein l’a choisi très intelligemment, en commençant par Omaramor d’Osvaldo Golijov. Dans cette brève oeuvre d’un peu plus de huit minutes, le compositeur argentin rend hommage à l’immortel Carlos Gardel en suivant la progression du célèbre tango « Mi Buenos Aires querido » avec beaucoup de bonheur et une belle maîtrise mélodique. Quant à la Suite de Gaspar Cassadó, elle ne cherche pas à cacher les origines espagnoles ni la parfaite maîtrise de l’auteur, lui-même violoncelliste de renom et élève de Casals: de fières mélodies ibériques s’allient ici à une connaissance intime des possibilités qu’offre l’instrument. Le deuxième mouvement est une noble sardane, alors que le finale débute sur un très beau récitatif où, après un plaintif soliloque dans l’aigu, le violoncelle se fait guitare avant de terminer sur une tourbillonnante jota.
La bonne surprise de ce disque est représentée par les Seven Tunes Heard in China du compositeur sino-américain Bright Sheng, suite composée en 1995 pour nul autre que Yo-Yo Ma. Il s’agit d’une succession de sept morceaux (qui vont de moins d’une minute à près de cinq) basés sur d’authentiques chants populaires glanés par le compositeur dans l’immense Chine, du Tibet à Taiwan en passant par la Mongolie, le tout sans folklorisme indu et dans un grand respect des sources. Bright Sheng tire le meilleur parti possible des ressources du violoncelle, non seulement en évoquant les modes et mélodies de la musique chinoise mais également la sonorité des instruments traditionnels, dont la cithare à sept cordes. Ici encore, interprétation irréprochable d’Alisa Weilerstein. Un disque qui sort résolument des sentiers battus et que les violoncellistes (et tous ceux qui aiment l’instrument) auront à coeur d’entendre.
Patrice Lieberman
Son 9 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 10