Laurent Wagschal, explorateur musical
Le pianiste Laurent Wagschal est le point commun des trois premiers albums de la collection 1900 du label IndéSENS qui explore le répertoire français pour cuivres et vents au carrefour des XIXe et XXe siècles. Crescendo s’entretient avec ce musicien qui ne cesse d’explorer avec bonheur les frontières des répertoires.
Vous êtes le point commun des 3 premiers albums de la collection 1900 du label IndéSENS. Comment avez-vous été associé à cette aventure ?
C'est Benoît d'Hau, directeur d'IndéSENS, qui a eu cette très belle idée de réaliser une série d'albums consacrés aux compositeurs de l’École franco-belge autour de 1900. Partenaire régulier de Vincent Lucas, Alexandre Gattet et d'Eric Aubier, et ayant déjà réalisé plusieurs enregistrements pour le label, c'est tout naturellement à moi qu'il a proposé de participer à ce projet que je me suis empressé d'accepter avec enthousiasme.
Ces 3 albums présentent 3 instruments différents et des œuvres aux tons contrastés. Quels sont les enjeux stylistiques de ces partitions ?
La plupart des œuvres enregistrées sur ces trois albums reflètent bien le style français qui prévaut de 1870 jusqu'à la Première Guerre mondiale et peuvent être catégorisées dans les musiques dites de « salon » ; attention j'utilise ici ce terme sans absolument aucune connotation péjorative ! Il s'agit de pièces très faciles d'accès pour l'auditeur, liées à l'ambiance Belle Époque et qui possèdent un charme un peu suranné, mais tout à fait irrésistible je trouve. Je pense par exemple à Mel Bonis, Cécile Chaminade, André Caplet, Benjamin Godard, Paul Pierné, Philippe Gaubert... Tous ces musiciens sont fortement influencés par Fauré dont le style se trouve d'ailleurs magnifiquement illustré dans l'arrangement de la 3e de ses Romances sans paroles qui figure sur l'album avec hautbois ; ou dans la Sicilienne que nous avons enregistrée ici dans un arrangement pour flûte et piano. Quelques œuvres contrastent avec ce style, notamment les œuvres avec flûte d'Albert Roussel, partitions postérieures, écrites après la Première Guerre mondiale et dans un style plus moderne, résolument tourné vers le XXe.
Est-ce qu’il y a une ou l’autre partition qui a votre préférence ?
L'enregistrement de ces albums a été pour moi l'occasion d'un grand nombre de découvertes. Pour en citer quelques-unes, je dois dire que j'ai été particulièrement séduit par les Scènes écossaises de Benjamin Godard ainsi que les deux pièces de Louis Vierne pour hautbois et piano. Dans l'album avec flûte, je voudrais mentionner les deux œuvres écrites par des compositrices : la Sonate de Mel Bonis et le Concertino de Cécile Chaminade. Je suis également très heureux de l'arrangement que nous avons réalisé nous-mêmes des Six Épigraphes Antiques de Debussy. Enfin dans l'album avec cornet, j'ai également eu plusieurs révélations : les pièces de Guy Ropartz, de Guillaume Balay ainsi que le très beau Solo de concours de Théo Charlier, cheval de bataille des trompettistes du monde entier et qui mériterait bien d'être connu au-delà de ce cercle.
Vous accompagnez très régulièrement les instrumentistes cuivres ou vents pour des enregistrements. Est-ce un choix délibéré ou le fait d’une évolution naturelle de votre carrière ?
C'est plutôt le hasard des rencontres de la vie. J'ai eu la chance et le grand plaisir de rencontrer et de jouer avec Vincent Lucas depuis un certain nombre d'années ; nous avons notamment enregistré pour le label Indésens une intégrale des œuvres pour flûte et piano de Gaubert. Jouant régulièrement dans le cadre des concerts de musique de chambre avec les musiciens de l'Orchestre de Paris, j'ai eu l'occasion de rencontrer et de jouer avec également d'autres instrumentistes à vent : Alexandre Gattet mais aussi le clarinettiste Philippe Berrod, le bassoniste Marc Trenel et le corniste André Cazalet. Tous ces musiciens avec lesquels j'ai eu le plaisir de graver pour le label IndéSENS une intégrale des œuvres pour vents et piano de Camille Saint-Saëns ainsi qu'un album de musique de chambre française paru récemment. J'ai également participé pour Indésens à une intégrale des sonates pour cuivres et piano de Hindemith. Autant d’occasions de découvrir et explorer un répertoire peu connu et peu pratiqué par les pianistes, ces derniers il est vrai ayant déjà à leur disposition un répertoire gigantesque de musique de chambre avec les instruments à cordes.
Est-ce qu’il y a une différence d’approche quand vous accompagnez un trompettiste, un flûtiste ou un hautboïste ?
Non pas réellement, car l'écriture de la partie de piano est déjà fondamentalement différente. De même qu'un compositeur tient compte des spécificités de chaque instrument et n'écrit évidemment pas de la même manière pour flûte, hautbois ou trompette, la partie de piano est pensée en fonction de l'instrument qu'il accompagne. Par contre je dirais qu'il y a des particularités à l’accompagnement des instruments à vents : comme avec un chanteur il faut être attentif aux respirations du musicien ; respirations qui conditionnent les tempi eux-mêmes très liés à la longueur des phrases.
Votre discographie propose une large part de compositeurs français souvent fort négligés par la postérité : Gaubert, Pierné, Caplet, Thirion… Qu’est-ce qui motive votre dévotion à la musique française et vous pousse vers ces découvertes ?
Difficile d'expliquer ses goûts et attirances pour tel ou tel autre répertoire. Personnellement je ressens de profondes affinités avec cette musique qui correspond je pense à ma sensibilité et aux spécificités de mon jeu et de mon toucher. Nous avons la chance d'avoir un répertoire exceptionnel par sa richesse et variété, mais force est de constater que, à l'exception des œuvres de Debussy et Ravel, il est malheureusement peu pratiqué et mal connu. C'est ainsi que j'ai choisi de consacrer mon premier album solo à Florent Schmitt, puis d'enregistrer les Nocturnes de Fauré. Mon exploration du répertoire français s'est poursuivie avec de nombreux enregistrements réalisés pour le label Timpani et Indésens. Si je peux contribuer ainsi modestement à la découverte ou redécouverte de ce tout ce répertoire oublié, j'en suis très heureux.
Je présume que vous avez déjà d’autres projets d’albums dans les cartons ?
Oui, Benoît d'Hau songe à prolonger la collection Paris 1900 avec plusieurs albums consacrés à d'autres instruments, ainsi qu'un album piano solo. Il est prévu également de faire paraître très prochainement deux enregistrements consacrés à Louis Vierne : tout d'abord les œuvres de piano puis la musique de chambre avec notamment les sonates pour violon et pour violoncelle que je jouerai avec les musiciens de mon ensemble le Déluge.
Le site de Laurent Wagschal : https://laurentwagschal.com
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : Lyodoh Kaneko