Le chant du cygne de Max Bruch en musique de chambre

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Max Bruch (1838-1920) : Quintette à cordes en mi bémol majeur, op. posthume ; Quintette à cordes en la mineur, op. posthume ; Octuor en si bémol majeur, op. posthume. WDR Sinfonieorchester Chamber Players. 2020. Notice en allemand, en anglais et en français. 67.39. Alpha 743.

On a trop tendance à limiter Max Bruch à ses concertos pour violon, en particulier au premier d’entre eux de 1866, une partition bien servie par les virtuoses, à sa Fantaisie écossaise pour violon et orchestre de 1880 ou au poignant Kol Nidrei pour violoncelle et orchestre de la même année. Ce n’est pas rendre bonne justice à la production de cet originaire de Cologne, auteur d’opéras et d’oratorios, mais aussi de lieder ou de trois symphonies au classicisme considéré comme académique. Ce maître de l’harmonie, du contrepoint et de l’instrumentation a peut-être eu le tort de demeurer résolument dans la mouvance romantique alors que des bouleversements annonçaient d’autres voies musicales. Sa carrière de pédagogue et de chef d’orchestre a sans doute aussi mangé une partie du temps qu’il aurait pu consacrer à la composition. Il n’empêche, ainsi que le démontre avec éclat le présent album, que sa musique de chambre vaut largement le détour. Ce n’est pas la première fois que les quintettes et l’octuor posthumes sont enregistrés : à la fin du siècle dernier, Ulf Hoelscher et son ensemble s’y étaient attardés (un quintette, le seul connu alors, et l’octuor) pour CPO, avant que The Nash Ensemble grave les trois œuvres pour Hyperion en 2016. La qualité de ces pages tardives n’avait pas échappé à ces formations. Les membres du WDR Chamber Players reprennent aujourd’hui le flambeau pour une nouvelle version de cette dernière floraison romantique. Ces mots qui servent de titre à la notice synthétisent avec opportunité trois compositions dont l’histoire de la découverte est contée en détails par Norbert Hornig. 

Les deux Quintettes ont été écrits en 1918 et l’Octuor en 1920, six mois avant le décès de Max Bruch, âgé de 82 ans. Ils sont demeurés Inédits de son vivant, leur matériel d’interprétation a été perdu, et ce n’est qu’en 1988 que le biographe anglais du musicien, Christopher Fifield, en a retrouvé des traces dans la bibliothèque musicale de la BBC. On lira les détails des exhumations dans la notice, saluant au passage le fait que Gertrude, la belle-fille de Bruch, avait opportunément réalisé des copies des autographes du compositeur. Ce n’est en fin de compte qu’en 2008 que le Quintette en mi bémol majeur a été joué pour la première fois à Londres, ce qui explique qu’il ne figure pas sur le CD CPO évoqué ci-dessus.

Au cours de sa jeunesse, Max Bruch avait produit de la musique de chambre de manière occasionnelle : un septuor, un trio pour piano et cordes, deux quatuors. Plus tard, on note à son crédit un quintette à cordes avec piano, ainsi que huit pièces pour clarinette, alto et piano dont il existe une superbe gravure chez Cyprès par Jean-Luc Votano, Arnaud Thorette et Johan Farjot. D’autres œuvres de musique de chambre ont disparu. Installé dans le grand âge et libéré des contraintes professionnelles, Bruch a donc consacré une dernière veine de son inspiration à de petits ensembles. Avec une indiscutable réussite.

L’impression globale que l’on éprouve à l’audition de ces pages marquées du sceau du romantisme est de participer à une expérience musicale gorgée d’une intense sève lyrique, avec le sentiment d’entendre vibrer l’âme d’un créateur en fin de vie, qui mêle sa voix pleine de nostalgie à des élans dynamiques dont la ferveur mélodique et la sensualité sont des complices au service des cordes. Composés à un mois d’intervalle, en novembre puis décembre 1918, année où Bruch reçoit un titre honorifique de l’Université de Berlin, les quintettes expriment-t-ils, au-delà de cette cruelle période de fin de Première Guerre mondiale, la volonté de demeurer ancré dans un passé révolu ? Le compositeur n’est en tout cas troublé par aucune avancée musicale. On retrouve dans le premier quintette, dominé par la rêverie et un climat langoureux, des allusions à ses œuvres antérieures. De mêmes emprunts figurent dans le Quintette en la mineur, avec un rôle fondamental et une mise en avant du premier violon dès l’Allegro initial, dans un contexte d’échanges chaleureux entre instrumentistes, qui vont se perpétuer tout au long des quatre mouvements. La beauté plastique n’en est que plus soulignée. A la fin d’une longue existence toute vouée au romantisme, Max Bruch jette ses derniers feux avec un enthousiasme et une majesté qui se développent encore plus dans l’Octuor, plongeant l’auditeur dans un délectable bain de séduction sonore et un climat presque orchestral. Un Adagio aux accents déchirants vient s’insérer au milieu de deux Allegros vigoureux. Cet ultime chant du cygne est chargé d’une forte émotion. 

Les WDR Chamber Players jouent à fond la carte des nuances, du raffinement et de l’intensité, avec pour résultat de vrais moments de bonheur partagé. Cet ensemble a cinq ans d’existence, est issu de musiciens de l’Orchestre symphonique de la WDR et se produit en formations variées. Il a déjà prouvé ses qualités dans des gravures de Brahms (quintettes et sextuors) ou de Beethoven (Quintettes op. 29 et 104, Fugue op. 137). Avec ce CD, un hommage de choix est rendu au peu célébré centième anniversaire de la disparition de Max Bruch. L’enregistrement, aux couleurs sonores séduisantes, a été en effet réalisé en mai et juin 2020 à la Philharmonie de Cologne, ville où est né le compositeur le 6 janvier 1838. 

Son : 10  Notice : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix     

   

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