Wieniawski et Noskowski, séduisants témoins du romantisme polonais
Henryk Wieniawski (1835-1880) : Concerto pour violon et orchestre n° 1 en fa dièse mineur op. 14. Zygmunt Noskowski (1846-1909) : Symphonie n° 2 en do mineur « Élégiaque ». Wojchiek Niedziólka, violon ; Orchestre philharmonique Arthur Rubinstein, direction Pawel Przytocki. 2023. Notice en polonais et en anglais. 61.13. Dux 2039.
Originaire de Lublin, cité la plus importante de la Pologne orientale, Henryk Wieniawskl manifeste des dons très précoces et suit, dès ses huit ans, les cours du Conservatoire de Paris, dans la classe de Lambert-Joseph Massart (1811-1892), qui est Liégeois de naissance et a été l’élève préféré de Rodolphe Kreutzer. Henryk mènera très vite une carrière de soliste : dès le début de la décennie 1850, il donne des concerts en Russie et commence à composer. Sa trop brève carrière se déroulera au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, où il enseigne de 1862 à 1868, et en tournées, dans toute l’Europe et aux USA, où ce « nouveau Paganini » se produira souvent avec le tout aussi célèbre pianiste Anton Rubinstein (1829-1894). On le retrouve à Bruxelles, où il remplace Henri Vieuxtemps comme professeur de violon au Conservatoire, de 1875 à 1877. Suite à des problèmes cardiaques, il démissionne et rentre en Russie, où il mourra l’année suivante, à moins de 45 ans.
Le catalogue de Wieniawski comporte deux concertos pour violon et diverses pièces virtuoses destinées à son instrument. Le Concerto pour violon n° 1, dédié au roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, est une œuvre de jeunesse. Wieniawski le compose en 1853 (il n’a que dix-huit ans), et le crée à Leipzig le 27 octobre de la même année. Sa réputation de brillant interprète est déjà solidement établie et va se renforcer au fil des années. Gorgé de romantisme, de lyrisme échevelé et de phases transparentes ou dramatiques, le Concerto n° 1 offre au soliste la possibilité de démontrer ses qualités dans un superbe Allegro moderato aux amples mélodies. Un Larghetto plein de ferveur, intitulé Prière, et un Rondo aux couleurs vives, introduit par les cuivres, se révèlent un peu plus convenus, ce qui s’explique sans doute par la jeunesse du compositeur au moment de l’écriture. L’œuvre n’en est pas moins séduisante ; dans une discographie de qualité, on relève notamment les noms de Rabin/Boult, Gitlis/Casadesus, Perlman/Ozawa, Shaham/Foster, ou, plus récemment, Brodsky/Wit ou Plawner/Nowak.
L’archet de Wojciech Niedziólka, qui a étudié à Lodz et à Varsovie, et est lauréat de plusieurs concours dans sa Pologne natale, se révèle ici d’un charisme chaleureux. Ce jeune artiste d’une vingtaine d’années joue cette page romantique avec une intensité équilibrée, fluide et lyrique, accompagné dans le même esprit par l’Orchestre Arthur Rubinstein de Łodz et son chef Pawel Przytocki, à sa tête depuis 2017. La présente version est une belle carte de visite pour la carrière en devenir d’un violoniste qui n'a pas à rougir de la comparaison avec ses devanciers.
Ceux-ci, pour la plupart, proposaient un couplage logique avec le Concerto n° 2, dont la création date de 1862. Ce n’est pas le cas ici : le complément choisi est la Symphonie n° 2 de Zygmunt Noskowski. Cet élève de Moniuszko allait devenir un pédagogue célèbre, qui comptera Szymanowski parmi ses étudiants. Sa carrière se déroulera en partie en Allemagne, où il bénéficiera du soutien de Liszt, mais surtout en Pologne, où il occupera d’importantes fonctions artistiques. Pour de plus amples détails, nous renvoyons le lecteur à notre texte du 13 septembre 2023, lorsque nous avons présenté un album Capriccio consacré aux deux premières symphonies de Noskowski, dirigées par Antoni Wit à la tête de l’Orchestre de Rhénanie-Palatinat. Composée entre 1875 et 1879, la Symphonie n° 2 « Élégiaque » contient des accents brahmsiens, la transposition de superbes éléments folkloriques, une allusion mélancolique aux « héros tombés » dans son troisième mouvement, et un final grandiose, aspiration à la liberté d’un peuple alors intégré à l’Empire russe. Pawel Przytocki en donne une version engagée et fervente, avec des couleurs animées, dans des tempos légèrement plus rapides que ceux d’Antoni Wit. Il offre à cette belle symphonie méconnue une nouvelle occasion d’être mise en évidence. Un album qui est une vitrine de choix pour mieux appréhender la richesse de la musique romantique polonaise.
Son : 8,5 Notice : 8 Répertoire : 9 Interprétation : 9
Jean Lacroix