Le Linos Ensemble souligne les séductions chambristes de Louise Farrenc
Louise Farrenc (1804-1875) : Trio n° 2 en ré mineur op. 34 pour piano, violon et violoncelle ; Variations concertantes sur une mélodie suisse op. 20 pour piano et violoncelle ; Trio n° 4 en Mi mineur op. 45 pour piano, flûte et violoncelle ; Sonate n° 1 en do mineur op. 37 pour piano et violon. Linos Ensemble. 2022. Notice en allemand et en anglais. 79.21. CPO 555 538-2.
Louise Farrenc est sans doute l’une des compositrices françaises les plus intéressantes du XIXe siècle romantique. Les colonnes de Crescendo lui ont consacré un portrait détaillé auquel le mélomane se référera, mais aussi des critiques élogieuses, par Jean-Marie André, Pierre Carrive et nous-même, d’enregistrements de symphonies ou de pages pour le piano. Sa discographie ne cesse de s’enrichir, notamment dans le domaine de la musique de chambre. Le Linos Ensemble, fondé en 1977, a déjà gravé une partie de cette production spécifique : sextuor, quintettes, deux trios. Il ajoute maintenant à notre connaissance d’autres jalons, particulièrement bienvenus.
Dans son passionnant ouvrage Les compositrices en France au XIXe siècle (Fayard, 2006), Florence Launay consacre de nombreuses pages au catalogue de Louise Farrenc. Elle rappelle que cette dernière, pianiste virtuose appréciée, n’a abordé la musique de chambre qu’après des années consacrées à l’écriture de pièces pour son instrument favori. Elle précise que trois éléments ont porté son intérêt vers des œuvres qui unissent le piano, les cordes et les vents : ses études avec Anton Reicha, son amitié avec Johann Nepomuk Hummel, tous deux excellents chambristes, ainsi que la présence à ses côtés de son mari, le flûtiste et éditeur de musique Aristide Farrenc (1794-1865), qui était très conscient du talent de son épouse.
Le présent enregistrement propose les Variations concertantes sur une mélodie suisse pour violoncelle et piano, d’après un air non identifié, composé au milieu des années 1830. Louise Farrenc s’était déjà distinguée par des pages pour piano à usage domestique, inspirées par des opéras, comme le signale Christin Heitmann dans sa notice, qui consiste en un panorama complet de la production chambriste de la créatrice. Un Air russe varié avait été apprécié jusqu’à Leipzig ; Robert Schumann lui fit même l’honneur d’un éloge dans un article. Pour ces fraîches et sensibles Variations sur une mélodie suisse, que la pianiste Konstanze Eickhorst et le violoncelliste Mario Blaumer rendent avec finesse, la notice met l’accent sur le fait que la bibliothèque de la compositrice comprenait une collection d’airs populaires helvètes, et qu’elle y a peut-être trouvé une inspiration adaptée à son propre style. La Sonate pour piano et violon n° 1, composée en 1848 et jouée en son temps avec éclat par Joseph Joachim, fait preuve d’une maturité compositionnelle, en séduisante fluidité et transparence, en particulier dans un Allegro vivace final enlevé avec passion par le duo formé par Konstanze Eickhorst et le violoniste Winfried Rademacher.
Les Trios n° 2 et 4 viennent compléter la gravure des premier et troisième Trios réalisée par le Linos Ensemble en 2009. L’opus 34 de 1844 est destiné à l’habituelle complicité du piano, du violon et du violoncelle ; la compositrice l’a beaucoup joué avec des collègues. Il offre au clavier une place fondamentale, et l’on y retrouve des réminiscences mozartiennes et de pages antérieures de Louise Farrenc. Mais la part du dialogue est aussi présente. On sera séduit par un ample et énergique premier mouvement, suivi d’un élégiaque et à la fois altier Tema con variazioni, et d’un Rondo final plein d’entrain. Quant au Trio n° 4 opus 45 de 1854/56, il fait appel, en plus du piano et du violoncelle à une flûte (excellente prestation de Kersten McCall) et n’est pas sans rappeler les subtilités haydniennes et mozartiennes. Ici le piano, plus discret, ne fait pas ombrage à l’instrument favori du mari de la compositrice, la virtuosité et la légèreté enjouée de la flûte étant mises en valeur de façon incessante, en particulier dans un Presto final brillamment contrasté. De beaux moments ponctuent les sonorités entrelacées. Tout ce répertoire procure de vrais moments de plaisir d’écoute, car le Linos Ensemble apporte un grand élan à la richesse des nuances.
Dans l’ouvrage cité plus avant, Florence Launay précise que l’apport de Louise Farrenc au répertoire de musique de chambre est important et fut perçu comme tel à l’époque. Elle ajoute qu’il a échappé au phénomène d’occultation qui touche en général les compositrices et qu’il a fait son chemin au travers de quelques articles et ouvrages d’histoire de la musique jusqu’à nos jours. Ce qui ne l’a pas empêché de tomber peu à peu dans l’oubli jusqu’aux années 1980, où un regain d’intérêt et de vraie reconnaissance s’est manifesté. Depuis lors, les gravures se multiplient et démontrent un grand talent à la découverte duquel le présent album, sonorité très présente et excellence interprétative, contribue largement, une fois de plus.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix