Le néoclassicisme orchestral du Gallois Rob Keeley

par

Rob KEELEY (1960) : Symphonie n° 2 ; Concerto pour flûte et orchestre ; Triple Concerto pour deux hautbois, cor anglais et cordes ; Variations pour orchestre. Sarah Desbruslais, flûte ; James Turnbull et Michael Sluman, hautbois ; Patrick Flanaghan, cor anglais ; Orchestre Philharmonique de Malaga et Orchestre Symphonique de Liepaja, direction :  Paul Mann. 2020. Livret en anglais. 78.12. Toccata TOCC 0462.

Né à Bridgend dans le sud du Pays de Galles en 1960, Rob Keeley étudie au Royal College of Music et à Oxford. En 1988, on le retrouve à Rome à l’Accademia Santa Cecilia, auprès de Franco Donatoni, puis au Tanglewood Summer Music. Parmi ses professeurs, on relève les noms d’Olivier Knussen, Hans Werner Henze, Bernard Rose ou Robert Saxton. Ce pianiste, qui a aussi appris le hautbois, donne de fréquents récitals et concerts et est maître de conférences au King’s College de Londres de 1993 à 2018. Le catalogue de ses œuvres comprend de la musique orchestrale ou pour petits ensembles, des pièces pour piano ou instruments solistes, de la musique de chambre. Les quatre œuvres proposées ici sont des premières gravures discographiques.

Dans la notice qu’il signe lui-même, Rob Keeley évoque les influences qui ont marqué son imagination musicale et son parcours artistique ; elles sont nombreuses, de Strawinsky à Britten et Elliott Carter, en passant par Dallapiccola, Messiaen ou Tippett. Sans oublier Bach dont les Concertos brandebourgeois l’ont fasciné dès l’enfance, ni ses professeurs Olivier Knussen pour la composition, ou Bernard Rose pour l’harmonie ou le contrepoint. Le programme débute par la Symphonie n° 2 de 1996, créée seulement en 2008. Les idées des quatre mouvements sont foisonnantes, depuis une paraphrase de la Symphonie fantastique de Berlioz avec un choral pour cordes avec cor, jusqu’à une allusion à la Symphonie en do de Strawinsky, œuvre que Keeley déclare fort apprécier, et un contrepoint teinté de Tippett et de sa Symphonie n°2 pour parachever la partition dans un esprit spirituel. Un patchwork, cette page construite dans une structure traditionnelle ? En quelque sorte, avec en plus un Scherzo enlevé et un Adagio molto, que Keeley a révisé pour cet enregistrement et qui se termine par un air de danse. Voilà une partition qui tend vers le néoclassicisme. 

Qualifié de « gallois », ce néoclassicisme, Keeley se l’approprie clairement dans son Concerto pour flûte de 2017 en deux mouvements, qui sont un hommage au lyrisme dansé et, encore une fois, à Stravinsky et à son Canticum sacrum, pièce vocale à caractère religieux de 1956. La flûte de Sarah Desbruslais y déploie beaucoup de grâce, de finesse et de virtuosité, dans un contexte décoratif et orné, non démonstratif, au charme certain. En 2014, Keeley compose son Triple Concerto pour deux hautbois, cor anglais et cordes inspiré par les suites orchestrales de Telemann, autre admiration du compositeur. Un Allegro molto, traversé d’ostinati répétés dans un univers minimaliste, précède un Scherzo qui utilise de singulières hétérophonies avant un Finale au cours duquel, après un lent passage aux cordes, les interventions des hautbois se manifestent dans une sorte de sarabande, le tout s’achevant par une vive coda. Les entrelacements des instruments solistes cisèlent de beaux moments néobaroques, les hautboïstes James Turnbull et Michael Stuman, et le corniste Patrick Flanaghan insufflant à cette partition souple et subtile beaucoup d’expressivité, soutenue par les cordes du Philharmonique de Malaga (aussi en activité pour la symphonie et le Concerto pour flûte) dirigées par Paul Mann avec beaucoup de soin. 

Le même chef, qui a enregistré près d’une vingtaine de disques pour le label Toccata (nous avons récemment évoqué la musique orchestrale du compositeur victorien Henry Cotter Nixon qu’il fait revivre), est à la tête du Symphonique de Liepaja, la plus ancienne formation des pays baltes, pour les Variations pour orchestre de Keeley. C’est une partition très récente (2019), au sujet de laquelle son créateur précise qu’elle est sa production « la plus substantielle en termes de contenu et d’implications » ; elle est comme un reflet intense des Variations ‘Enigma’ d’Edward Elgar, que Keeley salue comme « my beloved ». On peut aussi la considérer comme un hommage à cette figure tutélaire. Le thème est suivi de treize variations qui sont une combinaison de différentes variations instrumentales, le tout sonnant à la manière plastique d’un orchestre de chambre. Les bois et les cordes sont mis en valeur dans le thème principal, avec des arpèges de harpe. Au cours des variations, le basson, les violoncelles en pizzicato, la clarinette, le hautbois, les trompettes, les cors, les trombones… entrent en scène et construisent une série de nuances aux diverses atmosphères, décoratives, cadencées, mystérieuses, dansées, rythmées, romantiques, syncopées, aux timbres ardents, gracieux, nostalgiques ou ironiques. Le tout se termine par une Passacaille où le thème est rappelé en pizzicato par les violons, « comme des gouttes de pluie », précise Keeley, avant que les autres cordes ne se joignent à eux, la coda rappelant elle aussi le thème dans un élan léger. Paul Mann, auquel Keeley a dédié ces Variations, est l’ardent défenseur de toutes les nuances et couleurs, parfois impalpables, de cette partition.

Les enregistrements de cet intéressant créateur de notre temps, au langage musical accessible, ont été effectués à Malaga en octobre 2018 pour les trois premières partitions, et à Liepaja, en Lituanie, en janvier 2020 pour les Variations

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix   

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.