Musique orchestrale d’un oublié : l’Anglais Henry Cotter Nixon

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Henry Cotter NIXON (1842-1907) : Musique orchestrale complète, volume 3 : Aslauga, ouverture-cantate dramatique ; Fantaisie n° 2 pour violon et orchestre ; Titania, ouverture de concert n° 1 ; Gavotte en mi majeur ; The Gay Typewriters, farce en deux actes : Prélude et Musique de ballet de l’Acte II ; Marche du couronnement. Ana Török, violon ; Ferenc Nagy, euphonium ; Kodaly Philharmonic Orchestra et Orchestre Symphonique de Liepaja, direction : Paul Mann. 2020. Livret en anglais. 65.50. Toccata TOCC 0374.

Henry Cotter Nixon a totalement disparu de l’histoire de la musique anglaise (non cité par Gérard Gefen dans son ouvrage paru chez Fayard en 1992), ainsi que de la plupart des dictionnaires consacrés aux musiciens. Une carence que le label Toccata comble en publiant le troisième volume, déjà, de sa production orchestrale. La notice détaillée du livret considère que Nixon est l’un des compositeurs les plus accomplis de sa génération. Son auteur, David J. Brown, nous apprend qu’il est né à Kennington, un quartier du sud de Londres, dans une famille d’artistes. Il est le cadet des quatre enfants ayant survécu de l’organiste et compositeur de musique sacrée Henry George Nixon (1796-1849). Son père a épousé en 1818 Caroline Melissa Danby, fille de Sarah (1760-1861) et John Danby (1757-1798), lui-même organiste et compositeur de musique chorale. Sarah Danby, la grand-mère de Henry Cotter Nixon, est devenue la maîtresse du célèbre peintre, aquarelliste et graveur William Turner (1775-1851), après le décès de son époux. 

La situation financière des parents Nixon n’est pas brillante, mais suffisante pour envoyer le jeune homme à Hull, sur la côte, au nord-est de l’Angleterre. Il y étudie pendant quatre ans avec Harry Deval, compositeur et auteur d’un ouvrage sur l’art de la vocalisation. En 1859, il devient organiste, tradition familiale oblige, dans l’église catholique de Hull, mais rejoint Londres l’année suivante et commence à composer. Il est très actif dans la vie musicale du sud de la capitale en tant qu’organiste, membre d’une formation (second violon), organisateur et chef d’orchestre. Il fait aussi ses débuts en tant que pianiste et joue avec grand succès les concertos de Spohr, Mendelssohn, Weber ou Beethoven. De santé fragile, Il s’installe dans le Sussex en 1872, où il enseigne et devient organiste de l’église Sainte Marie-Madeleine à St-Leonards-on-Sea ; il épouse une de ses élèves l’année suivante. Il devient chef d’orchestre de la formation locale qu’il étoffe en douze ans, la faisant passer de quarante à quatre-vingts exécutants et interprétant avec elle les maîtres romantiques. Il continue à composer : musique de chambre, orchestrale, concertante, vocale, deux opérettes, un opéra. 

Cet exemple-type de professeur provincial montre cependant son ambition en écrivant en 1882 Palamon and Arcite, partition inspirée des Contes de Canterbury de Chaucer, où il est question d’Amazones et d’exploits guerriers, désignée comme « poème symphonique », qui semble être l’un des tout premiers, sinon le premier, du genre dans l’Angleterre de son époque. D’une durée de près de cinquante minutes, cette œuvre dramatique (qui figure dans le volume I de l’édition Nixon de Toccata) est dans l’esprit de partitions contemporaines comme Aus Italien de Richard Strauss, mais le langage musical de Nixon fait encore penser à Mendelssohn et à Schumann. Palamon and Arcite est créé en 1888, sous sa direction, au moment où, après seize ans dans le Sussex, Nixon décide de rentrer à Londres. Même s’il continue de composer des pages orchestrales, toute son énergie des années 1890 va aussi vers la musique chorale et le théâtre. Mais la plupart des pièces de cette période ne sont pas terminées ; celles qui ont survécu ne le sont que sous la forme de fragments ou d’ébauches. Durement frappé en 1895 par la perte de son épouse, et par celle de son fils aîné trois ans plus tard, Nixon n’a plus l’envie ni le goût de parachever son œuvre. Lui-même décède d’un cancer le jour de Noël de 1907.

Ce troisième volume de l’édition Toccata ne contient qu’une seule partition originale et complète de Nixon : Titania, une ouverture de concert d’une durée de dix-huit minutes, qui date de 1880. Elle a cependant nécessité de légères corrections, comme l’explique dans une seconde notice le chef d’orchestre Paul Mann, qui a reconstruit, complété ou réorchestré les autres œuvres du programme selon diverses sources, le tout aboutissant à de nouvelles éditions critiques. Nixon retient l’essentiel de l’histoire de Titania, reine des fées dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare et femme d’Obéron, le roi des elfes. Suite à un mauvais sort jeté par son mari jaloux, elle tombe endormie et, à son réveil, devient amoureuse du premier être qu’elle voit, Nick Bottom, le tisserand à tête d’âne. Titania sera libérée plus tard de son enchantement. Sur ce thème, Nixon a composé une partition délicate et tendre où les vents jouent un beau rôle. Des rythmes de danse, une allusion au thème du début du Concerto pour piano de Schumann, de la légèreté pour l’envoûtement de Titania, du charme, de la douceur mais aussi de l’énergie, traversent une page intéressante qui fait penser aux influences de Weber ou de Mendelssohn et se rapproche souvent de l’esprit du ballet. Il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre, mais l’audition est agréable, bien inscrite dans le romantisme féerique que le sujet évoque. 

Une autre ouverture, Aslauga, de caractère bucolique et pastoral (le nom évoque une famille de papillons à laquelle il n’est pas fait allusion dans la notice), est demeurée inachevée au niveau de l’orchestration ; elle date des années 1890-1893. Paul Mann s’est basé sur les détails de la version pianistique pour rendre aux cordes et aux vents une atmosphère issue elle aussi de Mendelssohn et de Schumann dont Nixon n’arrive pas à se démarquer. Une Gavotte en forme de charmante miniature, non datée, vient s’ajouter au programme, ainsi que deux extraits de la farce en deux actes de 1895 The Gay Typewriter, des épisodes rappelant les compositions de Sir Arthur Sullivan, alors bien en vogue ; dans la Musique de ballet, on retrouve un pastiche d’un air du Lac des cygnes de Tchaïkowski. A l’affiche encore, une pompeuse Marche du couronnement, que Nixon entreprit en vue du concours lancé à l’occasion de l’accès au trône du roi Edward VII en 1902. Mais, comme pour les pages précédentes, Nixon ne laissa le projet qu’au stade pianistique. Paul Mann s’est chargé de l’orchestration, comme de celle de la seule œuvre concertante de ce troisième volume, la Fantaisie pour violon et orchestre (non datée) qui n’existe que sous la forme d’une réduction violon-piano. Nixon aimait le violon, il confère à l’instrument une souplesse de ligne et une virtuosité dynamique dont la soliste roumaine Ana Török, élève de Tibor Varga et de Viktor Pikaisen, souligne l’atmosphère séraphique.

Dans la louable entreprise que représente l’accès à l’œuvre orchestrale du très oublié Henry Cotter Nixon, le travail de Paul Mann est de première importance. Régulier sur les scènes anglaises, américaines ou australiennes, ce chef compte près d’une vingtaine d’enregistrements pour le label Toccata, dont certains mettent en valeur des compositeurs moins connus d’Outre-Manche, comme Charles O’Brien, Steve Elcok, David Hackbrige Johnson ou Rodney Stephen Newton. Cet apport permet une connaissance et un approfondissement d’un répertoire la plupart du temps négligé en dehors du milieu anglophone. Dans le cas de Nixon, Paul Mann dirige le Kodaly Philharmonic Orchestra, établi à Debrecen en Hongrie, et le Symphonique de Liepaja, formation la plus ancienne des états baltes (pour la seule musique de ballet issue de The Gay Typewriter). Avec ces deux phalanges, Paul Mann fait revivre un corpus qui n’est sans doute pas de premier plan, mais qui se révèle un jalon de cette musique anglaise que nous connaissons en fin de compte si mal. L’enregistrement date d’août 2016 en Hongrie, sauf pour la musique de ballet, gravée à Liepaja, en Lituanie, en janvier 2020. 

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 7  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

  

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