Le parcours poétique de Zhu Xiao-Mei dans les Suites anglaises, intimement explorées

par how to ask a guy if we are dating

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suites anglaises no1 en la majeur, no 2 en la mineur, no 3 en sol mineur, no 4 en fa majeur, no 5 en mi mineur, no 6 en ré mineur BWV 806-811. Zhu Xiao-Mei, piano. Livret en français, anglais, allemand. Juin 2022. Deux CDs 50’08’’ + 53’51’’. Accentus ACC 30428

Bach a toujours été au centre du répertoire et de la discographie de la pianiste d’origine chinoise qui en avait déjà enregistré à peu près tous les monuments : Wohltempiertes Klavier, Partitas, Kunst der Fuge, Suites françaises, Inventions & Sinfonies, et les Variations Goldberg qu’elle joua des centaines de fois et grava à trois reprises, dont une parution CD de 2016. Les réalisations pour le label Accentus avaient été couronnées par un prix spécial aux ICMA en 2015. À peu près car Zhu Xiao-Mei aborde enfin pour les micros ces Suites anglaises qui sont, d’après ses mots, restées longtemps loin d’elle, expliquant qu’elle ne les trouvait « pas comme les autres » cycles du Cantor.

La musicologie n’a certes pas réussi à élucider avec certitude le contexte de ces six cahiers qui n’ont d’anglais que le titre, et dont on ne dispose d’aucun autographe, suscitant un abondant appareil critique de la part des éditeurs. En l’occurrence, l’interprète a opté pour l’Urtext chez Henle, tout en se référant aux annotations de la Neue Bach-Ausgabe de Bärenreiter. Après avoir songé au Château de Köthen, puis renoncé pour des raisons logistiques, elle a choisi un autre cadre significativement confidentiel : la chapelle Saint-Antoine de Névache, dans ce village des Hautes-Alpes où elle se replie fréquemment, et dont les touchantes photographies dans le livret divulguent le secret. C’est dans cette acoustique à contrecourant des grandes salles de concert qu’elle entend livrer sa vision d’une musique qui selon elle relève de l’intime, en rapport avec ce que le compositeur aurait pu jouer dans le foyer familial.

Effectivement, à l’écoute, c’est l’expressivité que semble poursuivre la pianiste, récusant toute sécheresse mécaniste pour mieux ciseler des tableaux de genre, épancher des précipités d’humeur, partager des intuitions contemptus sæculi. Pareil laboratoire condensera ses échantillons par l’éviction des reprises, résistera au legato par une agogique rubatisée où parfois Chopin pointerait un nez anachronique.

Évacuons d’emblée ce qui paraît disconvenir à cette esthétique, ou du moins convainc peu. Dans la seconde Suite, on déplore un Prélude plus détaillé que volubile, faisant un sort à chaque intervention, loin du fulgurant moto perpetuo d'un Ivo Pogorelich (DG). Le tempo freiné contraste insuffisamment avec l'Allemande. La Sarabande passe un peu vite, comme défileront les cinq autres d’ailleurs. Une propension homogénéisatrice gomme l’espièglerie de la modulation majeure de la Bourrée. A contrario, les doigts alambiquent trop la Gigue, en contrecarrant les parallélismes peut-être pour inventer une fugue qui n’y s’inscrit pas.

Dans la troisième Suite, le Prélude se voit lui-aussi abordé sur un rythme placide qui permet de décortiquer l’ardeur de ce concerto grosso imaginaire. On admirera comment en la Courante s’écartèle l'accord final dans un brouillard gercé. On succombera à la Sarabande tout en soupirs, en infimes disjonctions, aux dynamiques très travaillées dans la Gavotte. Mais on regrettera encore une Gigue à laquelle on invente des théâtres là où la danse suffirait.

Autre éclairage pour le Prélude de la quatrième Suite, transformé en manège de ritournelles en trompe-l'œil et de contrechants ingénieusement dosés. Les triolets de l'Allemande courtisent ensuite une sorte de romance qu'aurait pu aquareller Mendelssohn. C’est plutôt à Schumann que l’on pense en écoutant Zhu Xiao-Mei façonner une Sarabande aux extinctions moirées de grésil dont l'harmonie, les respirations font le lit de quelque rêverie du Rhénan. Cuivrant le clavier du Steinway, la Gigue pourra alors résonner comme un air de chasse de ses Waldszenen.

On ne s’étonnera guère que Zhu Xiao-Mei réussisse particulièrement les Suites les moins démonstratives, les plus simplement éloquentes. À commencer par la BWV 806, dont elle esquisse le furtif Prélude comme un tableau pastoral de Thomas Gainsborough (1727-1788). Pour rester dans le même décor, on savoure le pudique dialogue galant dans le lot de Courantes, la délicatesse des croches de main gauche dans la seconde Bourrée.

L’interprète insuffle même de l’âme à la laborieuse Cinquième en mi mineur. Dans le Prélude, on étudiera comment elle contraste la pulsation à 6/8 et la souplesse de l'élan thématique en septièmes diminuées. Quelle finesse de coloris dans la Sarabande, quel modelé dans les Passepieds ! Familière des créations les plus expérimentales du Cantor, Zhu Xiao-Mei revisite la grammaire chromatique de la Gigue par un torve croquis.

La pianiste réserve légitimement pour la fin de son parcours la sixième et dernière Suite, la plus ambitieuse. Dans le Prélude, elle n’outre pas l’essor du fugato (1’57) mais semble le déduire de l'introduction lente, comme un allegro assai découlerait d'un andante tels que le premier Beethoven aurait pu les écrire. À l'élasticité de la Courante répondra la béante résonance imposée à la Sarabande. Après les deux Gavottes méticuleusement dessinées, on se demande comment Zhu Xiao-Mei va aborder la faramineuse, boulimique Gigue conclusive : comme un drame effaré, à large enjambée, qui n'ose s'abîmer dans le cauchemar.

Dans ces six Suites, l’interprète née en 1949 aura cultivé un suggestif imaginaire et relu les polyphonies au travers d’un prisme singulièrement poétique. Un Bach très personnel, qui communique à voix douce, privilège d’un art, d’une philosophie aussi, longuement mûris. Investi de sagesse, de révélateurs questionnements, de patiente connivence. Voire adoubé par la sensibilité, les tentations ornementales, le spectre émotionnel du premier romantisme germanique qui le redécouvrit ? Telle interprétation raffinée se méritera aux oreilles qui prendront le temps de s’y immerger.

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Zhu Xiao-Mei

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