Le Poème Harmonique : le coffret des 20 ans

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Coffret anniversaire des 20 ans du Poème Harmonique sous la direction de Vincent Dumestre. Œuvres de Domenico Belli, Anthoine Boesset, Emilio de Cavalieri, Marc-Antoine Charpentier, Jean-Baptiste Lully, Nicolas Clérambault, François Couperin, Michel-Richard de Lalande, Robert de Visée, Pierre Guédron, Etienne Moulinié, Claudio Monteverdi, etc. 2019. Pas de livret. 21 h 28. 20 CD Alpha 568.   

Fondé en 1999 par Vincent Dumestre, guitariste, luthiste et chef d’orchestre, le Poème Harmonique fête ses vingt ans d’existence, son initiateur célébrant presque en même temps son cinquantième anniversaire. Le label Alpha a eu l’excellente idée de réunir en un gros coffret de vingt CD un florilège des disques publiés au fil de ces deux décennies. Une série d’entre eux ont bénéficié de diverses récompenses et ont été salués par la critique internationale. L’occasion est belle, pour ceux qui n’en auraient pas encore pris l’initiative, de se précipiter sur la quintessence de l’art de cet ensemble de haut niveau et de plonger en plein cœur d’un envoûtement qui se renouvelle à chaque page proposée. Presque simultanément à la parution de cet hommage, est sorti sous même étiquette un CD du Poème Harmonique intitulé Anamorfosi. On peut y découvrir des pages de Luigi Rossi, Domenico Mazzochi, Antonio Maria Abbatini, Marco Marazzoli, Claudio Monteverdi et Gregorio Allegri. Il s’agit, dans ce cas, de mettre en valeur « l’anamorphose », représentation picturale d’une image déformée, entre ce qu’elle montre et ce qu’elle cache, et d’illustrer la parodie mise en place par l’Eglise au XVIIe siècle, qui tendait à inspirer le sacré à partir du profane dans le contexte de la Contre-Réforme. Dès 2003, ainsi que l’atteste le tout dernier CD du coffret anniversaire, Nova Metamorfosi, le Poème Harmonique s’attachait à la musique sacrée à Milan à l’orée du XVIIe siècle. C’est dire si l’Ensemble s’est inscrit dans la continuité d’une démarche au long cours en publiant ces Anaformosi au moment de ses vingt ans et si la philosophie des projets demeure constante, malgré le large territoire musical auquel il s’est intéressé.

Que contient ce gros coffret, dont la couverture reproduit une image de L’Enlèvement de Proserpine, une extraordinaire sculpture signée Le Bernin, rappel des superbes pochettes, absentes ici, de chaque CD publié à l’unité au fil du temps ? L’objet est proposé à prix réduit (une aubaine !), mais hélas sans les livrets précieux de chacun des programmes. On ne trouve que le descriptif pur et dur des contenus dans une plaquette insérée. C’est dommage pour l’information historique des sources et des contextes, mais l’envoûtement sonore est tel sur le plan général que l’auditeur peut se contenter d’une extase auditive permanente et se laisser aller à rêver au-delà des explications musicologiques. Il est en effet difficile de résister au bonheur éprouvé à (re)découvrir le parcours, ou plutôt le voyage au cœur duquel le Poème Harmonique nous entraîne, à travers l’Europe musicale des XVIe et XVIIe siècles. D’autant plus que la transparence des prises de son est séduisante.

Nous sommes invités en Italie, avec Domenico Belli qui passa sa courte existence à Florence et servit les Médicis, avec Bellerofonte Castaldi qui vécut un temps à Venise avant de voyager en Allemagne, avec Emilio de Cavalieri, l’un des inventeurs du style monodique, dont des Lamentations nous laminent le cœur, mais aussi avec des pièces de Monteverdi, Trabaci ou Marazzoli, avec un panorama de Florence en 1616 (Caccini, Belli encore et son Orfeo dolente, dont on a affirmé que c’est le premier opéra composé), ou avec des airs festifs. L’Angleterre est représentée par Jeremiah Clarke (son émouvante Ode sur la mort de Purcell) et par le grand Purcell lui-même (Sentences funèbres pour la mort de la reine Mary II), ainsi que par des pages d’Anthony Holborne, John Dowland, Thomas Morley, Orlando Gibbons et quelques autres, moments délicieux où il est question d’amour et dans lesquels le luth prédomine.

On ne s’étonnera pas que la part le plus importante soit réservée à la France (dix CD sur vingt).

Avec des « classiques » comme les Te Deum de Lully et de Michel-Richard de Lalande (il y a d’autres œuvres de ce dernier, réunies par thèmes) ou les Leçons de ténèbres de François Couperin, mais encore avec Boesset, Clérambault (le déchirant Miserere), Guédron, Moulinié, Tessier, ou des airs de cour de la fin du XVIe siècle, signés Carroubel, Costeley, Boyer… Pour ne détailler qu’une seule merveille, le CD n° 11 revêt un attrait tout particulier : Robert de Visée (c. 1659-1733), musicien de chambre de Louis XIV, s’y inspire de textes poétiques de Théophile de Viau (1590-1626). Cet auteur sulfureux, considéré comme libertin et bisexuel, fut un protégé de Louis XIII avant d’être condamné à mort pour raison de mœurs, dont des soupçons de sodomie. Caché, il fut capturé, passa deux ans à la Conciergerie puis connut l’exil perpétuel. Robert de Visée a mis en musique des sonnets de Viau déclamés par un comédien, entrecoupés par des interventions du théorbe. Eugène Green, le récitant, et Vincent Dumestre, à l’instrument, créent une atmosphère subjuguante, feutrée, d’un lyrisme sensuel, mais aussi délicat et racé. 

Les enregistrements vont des débuts, en 1999, lorsque le Poème Harmonique travaillait ses productions à la Chapelle de l’Hôpital Notre-Dame de Bon Secours à Paris, jusqu’en 2017, dans le cadre royal de la Chapelle du Château de Versailles. Chaque CD est un bijou en soi, travaillé avec soin et goût par une équipe qui s’adapte à tous les climats musicaux avec une grande aisance. Tous les participants, si nombreux qu’on ne peut les citer individuellement, sont à inclure dans les mêmes éloges. Si l’on ne possède pas les disques à l’unité, voilà un coffret indispensable, qui tient toutes ses promesses et plonge l’auditeur dans un univers où la beauté, l’exaltation et le dépaysement sont les maîtres-mots. Dans la foulée, le Poème Harmonique a enregistré, toujours chez Alpha, le Phaéton de Lully en CD et en DVD. L’aventure continue, elle a encore de beaux jours devant elle !

Son : 9  Livret : inexistant  Répertoire : 8 Interprétation : 9

Jean Lacroix 

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