Didier Castell-Jacomin, pianiste découvreur

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Le pianiste français Didier Castell-Jacomin vient d’intégrer la liste très sélective des Artistes Steinway. Le musicien nous parle de cette reconnaissance et il revient sur sa discographie qui propose de belles découvertes musicales dans des répertoires rares.   

Vous êtes devenu Artiste Steinway. La première question est simple, qu’est-ce que cela fait d’être artiste Steinway ? 

Devenir Artiste Steinway est pour moi un très grand honneur, mais c’est aussi une responsabilité de représenter la marque du mieux que je peux. C'est également un privilège de rejoindre la liste d'illustres interprètes qui représentent la marque, tels que Martha Argerich, en passant par Leif Ove Andsnes ou encore Nicholas Angelich, mais aussi la star du jazz Diana Krall ou même une légende comme Vladimir Horowitz 

Mais comment devient-on Artiste Steinway ? 

Plusieurs paramètres entrent en compte pour devenir Artiste Steinway. Il faut tout d'abord posséder un piano Steinway (quel que soit le modèle et/ou l'ancienneté de l’instrument). Puis vous devez remplir sept pages de renseignements qui prouvent que vous avez une solide carrière, que vous enregistrez pour un label (assez) important et il faut justifier de vos activités musicales passées et à venir. Puis vous devez attendre entre 4 et 6 mois afin que la maison mère informe les différentes succursales Steinway à travers le monde pour acceptation ! Bien sûr, il ne faut en aucun cas avoir eu ou avoir un contrat avec une autre marque de piano. Au bout de ces 4 à 6 mois d'attente, vous recevez l'acceptation de Steinway et vous intégrez leur liste. Pour vous donner une idée du prestige qui vous est offert, nous sommes à peu près 2000 pianistes professionnels dans le monde à représenter la marque, sur à peu près 15 millions de pianistes rien qu'en Chine (toutes disciplines confondues, Jazz, Pop, Classique) ! 

Vous étiez proche du légendaire Paul Badura Skoda. Qu’est-ce que vous retenez de ce grand musicien ? 

J'ai effectivement eu le bonheur de côtoyer Paul mais sur l'automne de sa vie, bien que le nombre d'années ne définisse pour moi ni la qualité ni l'intensité de la relation. Je l'ai rencontré grâce à une amie qui n'arrêtait pas de me parler de lui. A force, je lui ai dit qu’au lieu de l’évoquer, elle devait lui proposer de jouer avec moi. A ma grande surprise elle l’a fait, et Paul a accepté après avoir reçu l’un de mes CD. Je suis alors allé le rencontrer à Vienne, le coeur battant et très intimidé. Il a ouvert sa porte et d'un coup je me suis trouvé, en le voyant, à voir défiler tout son passé pianistique légendaire alors qu’il m'accueille en me disant: " Bonjour Didier, alors moi c'est Paul, tu m'appelles par mon prénom ou Badura, et tu me tutoies....". Evidemment je n'ai pas osé ! On s'est mis au piano et nous avons commencé directement à travailler le double concerto de Mozart. Ce que je retiens de ce merveilleux Artiste, ce sont sa simplicité, son humanité et son intelligence à vous mettre tout de suite à l'aise pour que la relation ne soit pas "d'élève à Maître" mais de collègue à collègue. C'était un homme d'une gentillesse extrême et d'une empathie sans égal. Je me souviens d'un de ses concerts à Bozar où il a joué, entre autres, la dernière sonate de Schubert. Sa manière d'interpréter était tellement fantastique que vous entendiez Schubert et pas un pianiste qui l’interprétait. Cela m'a donné l'impression qu'il était devenu un vecteur pour nous offrir la quintessence de l'oeuvre. C'est pour moi l'apothéose quand l'interprète s'efface pour laisser vivre ces pages magnifiques que nous ont laissées ces génies. Par la suite, nous avons joué ensemble à quatre mains. Nous avons répété chez moi, ainsi qu'à Vienne et à Amsterdam. Il était extrêmement précis pour les nuances, les respirations, les trilles et autres ornements, surtout chez Mozart. Je retiens de cet homme sa droiture dans tous les domaines, amical comme musical. Il me manque comme à tant d'autres bien sûr, et je pense tout particulièrement à Jean-Marc Luisada qui fut son disciple et ami privilégié. 

Vous avez enregistré chez Naxos (et en première mondiale) des transcriptions de Ignaz Lachner, pour piano et quintette à cordes, de deux concertos pour piano de Mozart. Comment avez-vous redécouvert ces transcriptions ? 

En fait, c'était un rêve d'enregistrer surtout le La Majeur (K.488) mais avec orchestre. L'occasion ne s'est pas présentée. Par contre, le lendemain de mon concert avec Paul Badura-Skoda, j'ai contacté le Wiener Kammersymphonie Quintet pour leur proposer de collaborer, ce qu'ils ont accepté ! Le manager du Quintette, Sergio Mastro (qui est le violoncelliste de la formation), m'a tout de suite dit qu'il y avait 19 concerti (sur les 27) que Lachner avait transcrits pour Quintette et piano. Ce fut une évidence alors de graver le K.488, la première mondiale étant l'autre concerto, le K.246 en Do Majeur. Pour compléter le disque, le Wiener Kammersymphonie Quintet a eu la sublime idée d'enregistrer l'ouverture de la Flûte Enchantée et les principaux airs de l’opéra. Il n'y a d'ailleurs que très peu de versions de cette Flûte en quintette. Aussi bien pour les concerti que pour la Flûte, il faut arriver à se détacher des versions orchestrales pour apprécier les couleurs et intonations de ces arrangements. C'est très différent, car nous sommes tous solistes au final, ça n'est pas de la musique de chambre à mon sens. 

Vous avez enregistré en 2010 un album consacré à des oeuvres de grandes compositrices. Vu le contexte médiatique actuel et le souhait de faire une place de plus en plus grande aux compositrices, est-ce que l’on vous re-demande souvent ce programme au concert ?  

Je me suis intéressé aux compositrices en découvrant le site consacré à Mélanie-Hélène (Mel) Bonis, créé par son arrière-petite-fille Christine Géliot. Je l'ai contactée pour avoir de plus amples renseignements, ce qui m'a amené aussi à voyager en Europe pour rencontrer soit des légataires, soit des descendants de certaines compositrices que je souhaitais mettre à l'honneur. J'ai eu la chance de pouvoir enregistrer dans le célèbre studio berlinois Teldex. Pour moi, ce n'était pas un effet de mode puisque j'ai été -je pense- l’un de premiers pianistes à m'intéresser à ces femmes d'exception. Alors, oui, il se trouve que, vu le contexte actuel, on me redemande de jouer ces compositrices (Clara Schumann, Mel Bonis, Marianna von Martines, Cécile Chaminade...). Je compte d'ailleurs donner une suite à mon CD "Regards" qui leur est consacré car, en faisant des recherches, j'ai dénombré depuis le Moyen-Âge à peu près 2500 femmes compositeurs. Il y a donc à faire pour leur redonner la place qu'elles auraient dû toujours avoir (du moins une partie d'entre elles, en ce qui me concerne). 

Quel sera votre prochain défi musical ? 

En fait, j'en ai plusieurs. Je vais vous en confier trois. Le premier est d'enregistrer fin août, pour Naxos, un autre disque pour piano seul avec des oeuvres très peu connues de Schubert. L’album paraîtra en octobre 2021. Ensuite, jouer en tournée le Double Concerto pour piano et violon de Mozart avec mon amie Cordelia Palm (super-soliste de l'orchestre d'Avignon) sous la baguette de l'excellente Debora Waldman. Ce concerto est très peu connu mais extrêmement intéressant à découvrir. Puis le Double Concerto pour piano de Mozart aux USA et en France, avec l'excellente pianiste Marina di Giorno sous la baguette de mon ami Julien Benichou (actuel chef permanent du Mid-Atlantic Symphony Orchestra basé à Baltimore). 

Vous avez aussi, je crois, un projet de livre ? 

En effet et c’est un projet qui me tient très à cœur ! Il s’agit d’un livre sur les personnes extraordinaires avec qui j'ai eu l'occasion d'étudier, de jouer, ou que j'ai tout simplement rencontrées et qui ont très fortement marqué ma vie. Je tiens à leur rendre hommage et à montrer qu'on reconnaît les grands à la manière dont ils nous élèvent, nous aident à trouver notre voie et à devenir qui nous sommes. Ce livre sera écrit avec l'aide de Frédéric Boucher que j'ai connu par l'intermédiaire de son site aubonheurdupiano.com

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

Le site de Didier Castell-Jacomin : https://didiercastelljacomin.com/

À écouter : Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour piano et orchestre n° 8 K. 246 et n° 23 K. 488 (arrangements pour quintette à cordes et piano de Franz Lachner). Ouverture et divers airs de La Flûte Enchantée (arrangements pour quintette à cordes et piano). Didier Castell-Jacomin, piano. Vienna Chamber Symphony Quintet. Naxos 8574012.

 

Créditsphotographiques : Raoul Limpens

 

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