Le Printemps des Arts 2022

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Le Festival Printemps des Arts est un des moments forts de la vie culturelle monégasque. Après bientôt quarante ans d'existence, il continue de se renouveler. Marc Monnet était le directeur artistique pendant 19 ans et le public a pu découvrir de nombreuses créations mondiales dont maints chefs d'œuvres ainsi que de nombreuses raretés. 

C'est  Bruno Mantovani, un autre compositeur, qui lui succède, et ce dernier signe sa première programmation pour ce festival 2022 avec 21 concerts, projection de film,  ballet, des conférences, rencontres et tables rondes sans oublier des Masterclasses. Comme de tradition, le festival occupe des lieux insolites comme le tunnel "Riva", percé sous le Palais Princier de Monaco il y a plus de 60 ans qui accueille un concert. Le programme se plait également à proposer un parcours à travers le temps et huit siècles séparent la Messe de Nostre Dame de Guillaume de Machaut et la nouvelle partition de Bastien David qui est présentée cette année. C’est un voyage à travers le temps, le temps "universel", mais aussi le temps spécifique à chaque créateur. C'est l'analyse de l'évolution stylistique d'un compositeur au fil de sa vie, qui permet de cerner sa personnalité.

Le premier concert symphonique du festival témoigne de cette ouverture à travers les époques. Il démarre avec le canon de Guillaume de Machault Ma fin est mon commencement. Une merveille de mathématique musicale égale à celles de Jean-Sébastien Bach.Le texte illustre la musique et la musique le texte : arrivée à sa fin, la musique repart en arrière, et la voix du haut devient celle du bas -et inversement. Une parfaite maîtrise du contrepoint admirablement interprété par l'Ensemble Gilles Binchois. 

L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg  sous la direction de Marko Letonja fait son entrée sur la scène de l’Auditorium Rainier III. Ce déplacement est un petit évènement pour les Alsaciens qui effectuent  ici leur premier déplacement après cette longue période de pandémie et ils sont heureux de retrouver le public monégasque. 

Siren's Song, l'une des dernières créations de Peter Eötvös, ouvre la partie symphonique du concert. Eötvös avait déjà composé en 2015-2016 un cycle The Sirens Cycle fondé sur des textes de Joyce, Homère et Kafka. Siren's Song réinvestit la vision des trois auteurs laissant de côté les paroles. Reste alors l'aura métaphysique des écrits et le questionnement de Kafka : les sirènes ont-elles chanté pour Ulysse ou ne l'ont-elles bercé que de leur silence ? Letonja nous entraîne dans ce monde féerique, envoûtant, plein de couleurs et de sons avec sa baguette magique. 

Invité d’honneur du festival, le pianiste Jean-Efflam Bavouzet nous fait découvrir deux univers de Prokofiev, avec ses concertos n°1 et  n°5. La confrontation des deux concertos permet d'apprécier les écarts entre le commencement et la fin du corpus pour piano et orchestre de Prokofiev.

Le premier concerto est une œuvre de jeunesse. Prokofiev veut impressionner en tant que pianiste et compositeur. C'est une partition pleine de virtuosité, de vitalité et de fraîcheur irrésistible. On est époustouflé par le jeu enflammé de Jean-Efflam Bavouzet. Sa force, son toucher, sa clarté, son émotion, sa sensibilité par rapport à l'orchestre.

Le  Concerto n°5 est certes moins populaire que les deuxième et troisième concertos, mais c'est un de ses ouvrages les plus novateurs. Bavouzet et Letonja nous offrent une performance fascinante avec le son brillant du piano et les tonalités parfaitement contrôlées des autres instruments. Marko Letonja dirige l'orchestre avec une ingéniosité qui lie  parfaitement  un tempo inspirant avec une dynamique efficace.

La puissante suite du Mandarin Merveilleux  de Bartók clôt le concert. Noirceur, surnaturel et érotisme forment les ingrédients de ce patchwork symphonique. Marko Letonja et l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg galvanisent l'auditoire.

Le marathon de Jean-Efflam Bavouzet se poursuit. Après les deux concertos de Prokofiev, il présente en deux récitals des œuvres de Haydn et de Debussy. Le premier au Musée Océanographique avec les Sonates n° 59 et n°62 de Haydn, et la Ballade, Nocturne, Danse, Estampes et l'Isle Joyeuse de Debussy. Petite anecdote : Bavouzet qui est toujours très contrôlé crie "Chut". Il était irrité par un spectateur qui s'était endormi derrière la scène et ronflait. 

Changement de lieu avec un second récital à l’Opéra de Monte-Carlo. L'acoustique de la Salle Garnier est de loin supérieure à celle de toutes les autres salles à Monte-Carlo. Les sonorités que Bavouzet tire du Fazioli sont magiques : toutes les couleurs des Sonates n°31 et n°39 de Haydn et des Préludes de Debussy surgissent sous ses doigts comme les mille nuances du soleil couchant. Bavouzet est un musicien sincère et passionné. Il est à la fois peintre et poète, son jeu est captivant, profond et inspiré. 

Le soir, c'est au tour du pianiste hongrois Dezsö Ranki de fasciner l'auditoire avec son interprétation du Concerto n°3 de Béla Bartók. Le pianiste hongrois est probablement l’un des plus grands interprètes du compositeur dont il parvient à rendre la pureté, la clarté ainsi que la puissance pénétrante.

Kazuki Yamada, à la tête de son Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, est parfaitement synchronisé avec le soliste. Il dirige ses musiciens dans un tempo vif et une rythmique savamment maîtrisée, ce qui vivifie les dynamiques. On découvre deux œuvres  rarement jouées d'Anton Webern. Im Sommerwind, une œuvre de jeunesse, post-romantique et séduisante de timbre ainsi que l’émouvante Passacaille. Kazuki Yamada nous offre de très belles interprétations parfaitement adaptées aux tons contrastés de ces deux partitions. Le concert se clôt avec la Symphonie n°1 d’Henri Dutilleux. Kazuki Yamada est très à son aise dans le répertoire français du XXe siècle. Les timbres, les couleurs orchestrales, les juxtapositions de thèmes aux différents pupitres flamboyent sous cette baguette attentive aux couleurs et aux rythmes. 

Monte-Carlo, Printemps des Arts 2022

Carlo Schreiber

Crédits photographiques : Ben Ealovaga

 

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