Kantorow à Flagey : l’évidence de la virtuosité 

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Après un concert en ligne l’an dernier (pandémie oblige), Alexandre Kantorow se produisait pour la première fois en personne à Flagey. C’est peu dire que le pianiste français, qui n’a toujours que 24 ans, était attendu avec impatience par un public venu en nombre pour entendre cet artiste révélé au grand public par son triomphe au Concours Tchaïkovsky de 2019 et dont les parutions discographiques ont été récompensées à de nombreuses reprises par la presse spécialisée (dont deux Prix Caecilia).

Artiste aussi sobre qu’intelligent, Kantorow conçoit ses programmes de concert comme un véritable tout organique. C’est ainsi qu’après avoir ouvert son récital en mettant ses impressionnants moyens techniques au service d’une interprétation aussi fine que profonde de ce Prélude sur Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen où Bach se retrouve proprement transfiguré par Liszt, il garda les mains sur le clavier pour décourager toute velléité d’applaudissements avant d’enchaîner par la Sonate N° 1 , Op. 11 de Schumann. Après avoir abordé l’Allegro vivace introductif avec naturel et poésie, il offrit de l’Aria une version alliant une simplicité bienvenue à une belle science du timbre. Après un Scherzo vif-argent, dansant et aux rythmes bien marqués, le Finale fut moins réussi. En effet, l’interprète se crispa un peu, ce qui se traduit immanquablement par des duretés dans le son et il ne parvint qu’imparfaitement à rendre ce caractère ailé et poétique qui est la marque de la musique de Schumann et la rend si difficile à interpréter.

La seconde partie de la soirée allait en revanche nous amener sur les plus hauts sommets, l’intelligence de la programmation allant de pair avec une interprétation de tout premier ordre des oeuvres proposées. D’abord, un triptyque Liszt débutant par le Sonnet 104 de Pétrarque joué avec une magnifique palette de sonorités, fraîcheur, poésie et une tension maintenue de bout en bout.

Suivit le rare Abschied et ses étonnantes harmonies proto-debussystes, avant de conclure sur une Lugubre Gondola II mystérieuse, sombre et visionnaire. Si dans Vers la flamme de Scriabine Kantorow se montra moins passionné que d’autres, comment ne pas admirer sa hauteur de vue, sa phénoménale égalité de toucher, son étagement des plans sonores et les fulgurances de son interprétation. Retour à Liszt pour la conclusion de ce récital et une splendide version de Après une lecture du Dante, joué avec une remarquable aisance technique -superbes octaves- par un interprète sensible à toutes les facettes de la complexe personnalité de Liszt dans une lecture véritablement inspirée. On retiendra autant les enchanteurs épisodes poétiques que la superbe et torrentielle apothéose qui conclut l’oeuvre. 

Répondant aux applaudissements chaleureux d’une salle enthousiaste, le pianiste remercia le public par deux superbes bis. Il offrit en premier la Mélodie de Gluck-Sgambati (transcription de la Danse des esprits bienheureux tirée d’Orphée et Eurydice), interprétée avec une exquise délicatesse. Revenu saluer, il reprit place au piano pour une époustouflante Semaine grasse (dernier des Trois mouvements de Petrouchka) de Stravinsky, aussi pleine de caractère que d’une ébouriffante virtuosité.

Bruxelles, Flagey, le 28 mars 2022. 

Patrice Lieberman

Crédits photographiques : Sasha Gusov

 

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