À la Scala, une splendide Belle au Bois Dormant 

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Pour la Scala de Milan, Rudolf Nureyev avait conçu sa première production de La Belle au Bois Dormant en septembre 1966, en remaniant la chorégraphie originale de Marius Petipa dans des décors et costumes de Nicholas Georgiadis. Mais depuis octobre 1993, le cadre scénique a été modifié ; et Franca Squarciapino a recouru, pour le fond de scène, à la toile peinte imitant le ‘sfumato’ d’un Fragonard qui nimbe d’une lumière dorée d’antiques ruines devant lesquelles se dresse une salle de palais baroque avec portiques à chambranle, escalier circulaire à colonnes torses encadrant le berceau d’apparat d’Aurore. Après la scène de chasse dans un sous-bois automnal, l’on retrouvera la structure initiale où s’encastrera un trône à baldaquin tributaire de l’esthétique du Bernin. Et ses costumes, d’un goût irréprochable sous les lumières de Marco Filibeck, proscrivent le bariolage auquel l’on est accoutumé pour prôner une harmonie chromatique vêtant de pastel le cortège des fées, alors que les habits de cour étincellent de brillants coloris sans être surchargés. Et même Carabosse, flanquée de ses bouquetins, arbore la sombre crinoline à panier d’une souveraine déchue face à une Fée des Lilas échappée d’une estampe du XVIIIe.

Pour ces six représentations constituant la seizième reprise de la production, Frédéric Olivieri, le directeur du Ballet de la Scala, a fait appel à Florence Clerc, ex-danseuse étoile de l’Opéra de Paris, qui reconstitue la chorégraphie de Rudolf Nureyev en adoptant ses adjonctions, avec notamment au deuxième acte la Variation du Prince Désiré sur l’Intermezzo avec violon solo, à l’acte III, le Pas de deux du Duc et de la Comtesse se substituant aux apparitions de Chaperon Rouge et de Cendrillon. Et le tout se déroule avec une fluidité narrative rigoureusement agencée où le Corps de ballet, à effectif imposant, fait valoir son indéniable qualité.

Dès sa scène d’entrée, s’impose Nicoletta Manni, radieuse Princesse Aurore à la grâce mutine, se jouant des redoutables figures chorégraphiques de sa première apparition pour révéler ensuite sa maîtrise technique dans l’Adagio de la Rose avec ses attitudes figées sur pointes puis dans les Pas de deux avec le Prince. Et c’est le jeune Claudio Coviello qui l’incarne avec une fougue et une rapidité qui confèrent un singulier éclat à ses entrechats et bonds circulaires. Marta Romagna a l’indéniable autorité d’une Carabosse manipulant du bout de son aiguillon les forces infernales face à la placide Fée des Lilas de Deborah Gismondi, la défiant par sa rigidité péremptoire. Dans l’évocation des contes de Perrault s’illustre l’Oiseau bleu du chevronné Antonino Sutera séduisant la sémillante Florine d’Agnese di Clemente ; tout aussi convaincants, la Comtesse d’Emanuela Montanari et le Duc de Giuseppe Conte et la Chatte blanche de Denise Gazzo et le Chat botté si amusant de Christian Fagetti. Riccardo Massimi ne fait pas grand-chose du ridicule majordome Catalabutte confronté au couple royal huppé d’Alessandro Grillo et de Daniela Siegrist et aux quatre princes étrangers (Gabriele Corrado, Mattia Semperboni, Emanuele Cazzato et Christian Fagetti).

Un seul point noir : la direction brouillonne du chef moscovite Felix Korobov, s’agitant comme une queue de vache pour provoquer un tintamarre spasmodique sans rapport avec la luxuriante palette sonore voulue par Tchaikovsky. Comment une compagnie aussi prestigieuse peut-elle engager un pareil ‘musicâtre’ ? Quelle pitié face à tant de beauté !

Crédits photographiques : Marco Brescia et Rudy Amisano – Teatro alla Scala

Paul-André Demierre

Milan, Teatro alla Scala, le 2 juillet 2019

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