Le retour de Kazushi Ono

par

© Eisuke-Miyoshi

Orchestre symphonique de la Monnaie, dir.: Kazushi Ono
Sibelius: Finlandia, Tapiola - Schubert: Neuvième Symphonie
Schubert: Huitième Symphonie « Inachevée » - Sibelius: Le Cygne de Tuonela, Cinquième Symphonie
A voir l’enthousiasme mis par les musiciens de l’Orchestre symphonique de la Monnaie à accueillir à nouveau celui qui de 2002 à 2008 marqua la vie musicale bruxelloise à qui il offrit, comme directeur musical de la Monnaie, tant de belles soirées à l’opéra comme au concert, on peut aisément comprendre à quel point les attentes concernant ce très original cycle de trois soirées confrontant oeuvres symphoniques de Schubert et Sibelius étaient élevées. De plus, on peut imaginer que le retour du poétique chef japonais tombait à pic pour mettre du baume au coeur de l’orchestre un peu échaudé, semble-t-il, à la suite de sa collaboration pas toujours idéale avec son présent chef démissionnaire Ludovic Morlot, et peut-être affecté par certaines critiques qui faisaient état d’une baisse de la qualité de ses prestations. Il faut dire que les deux poèmes symphoniques de Sibelius qui ouvrirent le premier concert n’avaient pas de quoi rassurer, surtout une Finlandia faiblarde et anémique, où on se demandait sincèrement si le chef avait le souffle nécessaire pour soulever cette musique à bout de bras. Quant à Tapiola, l’approche qu’en donna le chef était si épurée, que même le son maigrelet et peu coloré des cordes de l’orchestre parut tout à fait à sa place, avec aussi quelques belles interventions des flûtes chastes et comme désincarnées. Mais l’impression curieuse était qu’Ono aime sincèrement cette musique, laquelle cependant ne cessait de se dérober à lui. Où était le terrible sentiment de solitude et même d’effroi que cette musique devrait faire naître auprès de l’auditeur?
Mais avec Schubert, les choses changèrent, et en mieux. Face à un Ono qui dirigeait par coeur, on sentit un orchestre de la Monnaie autrement impliqué et faisant preuve d’une véritable envie de bien faire. Dans la Grande symphonie de Schubert, la patte du chef se fit immédiatement sentir: direction claire et efficace, et dès le premier mouvement -et plus encore dans l’Andante con moto qui suivit- une remarquable maîtrise du temps long, une intelligence de la structure alliée au soin du détail lyrique (très belles contributions du hautbois). Le Scherzo mit en évidence la belle assise rythmique d’un Schubert qui se souvient de Haydn autant que cette inexorable marche qui annonce déjà Bruckner. Quant au final, on y saluera l’esprit du Ländler sublimé et une très belle contribution des cuivres.
L’Inachevée qui ouvrit la deuxième soirée permit d’apprécier un orchestre cette fois bien rodé, et capable de belles sonorités chaudes. Ono utilisa au mieux les qualités de l’orchestre pour une approche subtile et quasi chambriste de cette géniale symphonie : tout au long de l’oeuvre, le chef réussit à offrir une remarquable alternance entre tension et détente, et on apprécia particulièrement les beaux moments de lyrisme et de grâce dont l’oeuvre n’est pas avare. A nouveau, l’épisode de marche inexorable proto-brucknérienne du second mouvement fut remarquablement traité.
Le volet Sibelius de ce deuxième concert commença par une fine interprétation du célébrissime Cygne de Tuonela, avec de belles contributions du cor anglais et du violoncelle solo. Quant à la Cinquième symphonie du compositeur finlandais, elle reçut une magnifique exécution de la part d’un orchestre véritablement transfiguré. Dès le début de l’oeuvre, Ono réussit à imprimer ce climat de plein air tonique si typique de cette oeuvre, comme si une brise fraîche vous fouettait le visage. Ceci n’eut pas été possible sans une mise en place orchestrale irréprochable et une belle compréhension du rôle si important des vents. L’Andante se caractérisa par une atmosphère bucolique très réussie et une magnifique transparence orchestrale. Quant au merveilleux finale, la façon dont le chef fit émerger les célèbre hymne aux cuivres qu’inspira à Sibelius la vue d’un vol d’oies sauvages en formation fut magnifique, tout autant que la superbe compréhension de la logique symphonique dont il fit infailliblement preuve. Revenez quand vous voulez, maestro Ono.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Flagey, les 26 et 28 février 2015

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