Herreweghe et la passion selon Saint-Jean de Bach : la ferveur d'abord

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Jean-Sébastien BACH : Passion selon Saint-Jean, BWV 245. Maximilian Schmitt, ténor ; Kresimir Strazanac, basse ; Dorothee Mields, soprano ; Damien Guillon, contreténor ; Robin Tritschler, ténor ; Peter Kooij, basse. Collegium Vocale Gent, direction Philippe Herreweghe. 2020. Livret en anglais, français, allemand et néerlandais. Textes en langue originale, traductions en anglais, français et néerlandais. 107.08. PHI PLH 031 (2 CD).

Ter repetita placent ! Pâques se profile doucement à l’horizon ; l’événement va apporter son lot habituel de Passions. Philippe Herreweghe propose sa troisième version de la Saint Jean après celle de 1987 et celle de 2001, toutes deux parues chez Harmonia Mundi. La deuxième fois, il avait opté pour la mouture modifiée de 1725 alors qu’ici, il revient au choix habituel de la version initiale de 1724. On ne reviendra pas sur la genèse de cette géniale partition ; on soulignera plutôt les considérations déjà constatées par le passé, à savoir que Herreweghe ne verse pas dans les effets gratuits mais que, comme par le passé, sa vision est pleine de ferveur, de souplesse et d’expressivité. Ce dernier qualificatif n’a pas le même sens que chez Harnoncourt, ni chez Gardiner, dont le sens de la théâtralité nous apparaît plus évident, plus délibéré et plus marqué. Chacun fera son propre choix devant ces approches, en fonction de son ressenti. Rien n’empêche d’ailleurs de les aimer toutes ! Herreweghe n’éprouve pas le même poids du drame que ces deux autres références. Pour lui, la clarté et la lisibilité sont dominantes, et dès le chœur initial, on est plongé dans un univers sacré qui se met au diapason de l’œuvre, avec humilité, dans une mise en valeur soignée des divers pupitres et dans un contexte qui parle au cœur comme dans un partage douloureux. 

Au moment où le Collegium Vocale célèbre ses cinquante ans d’existence (quels trésors ont été ainsi distillés !), Herreweghe se concentre sur l’essentiel, en livrant un Bach à la fois dépouillé et intense, avec une volonté d’équilibre qui apparaît comme une lecture respectueuse, sans excès, sans étonnement ni éblouissement, sans dramatisation qui lui paraîtrait hors de propos. Il faut dire que la réalisation instrumentale est superbe, chaque intervenant étant de bout en bout exemplaire. On écoute avec ravissement l’orchestre en effectif limité (il n’y a que six violons, tous magnifiques), on rend les armes devant les hautbois, les violoncelles ou le luth délicat, mais ce serait faire injure à l’ensemble de ne pas le féliciter in extenso, tant l’homogénéité est présente, tant la précision est manifeste. Les mêmes compliments s’appliquent aux chœurs, dont la cohésion est celle qu’on connaît dans d’autres enregistrements de Herreweghe, avec cette retenue dans le ton, cette pudeur dans l’émotion, cette sage projection vers l’avant qui les caractérise et qui est un peu la marque du chef. 

Dans toute nouvelle Passion, le plateau vocal encourt le risque d’être confronté à de grands interprètes du passé, qui ont jalonné diverses références (par exemple Barbara Schlick, pour ne parler que d’elle, chez Herreweghe première version et chez Kuijken), mais Dorothee Mields, toute en luminosité, et Damien Guillon nous comblent dans les arias dont ils nous gratifient. Les autres sont bien en place, et Peter Kooij, complice de bien des aventures de Herreweghe, demeure à 66 ans une valeur sûre. L’Evangéliste de Maximilian Schmitt compose une belle présence, dans une rhétorique élégante ; il est face à un Jésus peut-être un peu moins investi, incarné par la basse Kresimir Strazanac. En conclusion, sur le plan esthétique, tout est à saluer, les ensembles sont excellents, on admire la beauté sonore globale. Mais le drame (qu’il il ne faut pas oublier dans sa crue réalité !) est un peu édulcoré et une très minime frustration peut apparaître en fin d’audition, celle de la sensation d’un engagement trop léché dans le discours. L’enregistrement, qui bénéficie d’une belle transparence, a été effectué du 20 au 23 mars 2018 dans la salle deSingel à Anvers. 

Son : 9   Livret : 9  Répertoire : 10. Interprétation : 9

Jean Lacroix  

 

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