Le violoncelle d’Edgar Moreau, instrument… comique ?
Jacques OFFENBACH (1819-1880) – Grand Concerto (« Concerto Militaire ») en Sol majeur, Friedrich GULDA (1930-2000) – Concerto pour violoncelle et orchestre à vents . Edgar Moreau (violoncelle), Raphaël Merlin (direction), Les Forces Majeures – 73’36 – Textes de présentation en français, anglais et allemand – 0190295526122
Edgar Moreau, jeune violoncelliste prodige, entame cette année 2019 avec un tout nouvel enregistrement mettant à l’honneur un répertoire inhabituel pour violoncelle et orchestre : le Concerto Militaire d’Offenbach ainsi que le Concerto pour violoncelle et orchestre à vents de Friedrich Gulda. Deux œuvres dans lesquelles on se retrouve le sourire aux lèvres à maintes reprises.
À l’image de son compositeur excentrique, le pianiste-virtuose Friedrich Gulda, le Concerto pour violoncelle et orchestre à vents pourrait sembler intentionnellement moqueur à l’égard des normes de bienséance en musique classique. Le rebelle interprétait les sonates de Beethoven en première partie (magistralement) et poursuivait en deuxième partie avec des improvisations sur de la musique rock et jazz ! Il aurait même donné un concert en tenue d’Adam…
Quant à la musique : les juxtapositions sont à la fois ébranlantes et hilarantes – qui dit qu’on ne peut pas faire alterner des riffs funk-rock avec des mélodies sorties tout droit des alpes autrichiennes ? Si l’ouverture et le final retiendront certainement l’attention des auditeurs par leur audace et charisme musical, les 3 mouvements centraux seront plus rapidement oubliés. Le 2e, Idylle, commence dans une belle atmosphère solennelle mais vire abruptement vers un Ländler d’un goût particulièrement douteux, le 3e mouvement, pour violoncelle seul, parsème de ‘clins-d’œil au jazz’ la cadence expressionniste rappelant Schostakovitch, suivi par le 4e, Menuet, un pastiche néo-baroque peu mémorable.
Le lien entre Gulda et Offenbach se fait facilement -Offenbach était tout aussi « anti-établissement » et se moquait ouvertement de ses contemporains Wagner et Berlioz, tout en recevant les louanges d’Otto Klemperer, Debussy, Moussorgsky, et même Nietzsche, qui l’appela à la fois un « génie artistique » et un « clown ». Loin de la provocation, son Concerto Militaire opte pour le lyrisme opératique, l’humour de l’opérette et une virtuosité diabolique qui teste véritablement les limites du soliste.
Il est toutefois difficile d’apprécier ces deux œuvres à leur juste valeur sans les conditions visuelles d’une performance live. Les regards complices entre les musiciens, leurs sourires ironiques et la vivacité de leurs mouvements font presque partie inhérente du discours musical.
Comme on peut l’attendre d’un tel talent, Edgar Moreau sublime ces partitions, n’atteignant peut-être pas la même facilité et qualité sonore que Jérôme Pernoo dans le Concerto d’Offenbach, mais nous offrant une interprétation de qualité du Concerto de Gulda. Sous la baguette de Raphaël Merlin, Les Forces Majeures jouent avec panache, groove et finesse. On regrette seulement la prise de son trop rapprochée du soliste, conférant des attaques sonores fortement prononcées, si pas acidulées, à certains moments dans ce Concerto de Gulda.
Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP