Leipzig musicale, tradition et modernité

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L'impressionnante statue du Cantor au pied de l'église St. Thomas © Crescendo Magazine

Pour tout mélomane ou musicien, Leipzig, c'est d'abord Jean-Sébastien Bach dont la statue au pied de l'Eglise Saint-Thomas ne cesse d'impressionner le visiteur : une statue de grand commandeur, maître des lieux de 1723 à sa mort en 1750, un lieu qui vit naître, notamment, les Passions, la Messe en si, L'Art de la Fugue,...

L'ensemble Amarcord ponctuait de ses chants la visite de la ville © Crescendo Magazine
L'ensemble Amarcord ponctuait de ses chants la visite de la ville © Crescendo Magazine

 

Une rue commerçante traverse la vieille ville pour rejoindre rapidement l'Augustusplatz, anciennement Karl Marx Platz, où se retrouvent, face à face, l'opéra de la ville et le mythique nouveau Gewandhaus achevé en 1981 sous les auspices de Kurt Masur dont on se souvient de la participation active à la révolution pacifique de 1989 qui vit naître une Leipzig souriante, gommant toute trace du joug communiste. Entre ces deux points forts de la ville musicale gravitent toute une série de statues, de lieux de souvenirs dont, par exemple, la « Old Town Hall » et son petit cabinet où le Cantor allait se plaindre ou se fâcher de ses conditions de travail, où il se faisait parfois sermonner... et où se trouve l'original du fameux portrait réalisé par Elias Gottlieb Haussmann en 1746, deux copies différentes se trouvant au Musée Bach du St. Thomas Square. Mais aussi, au fil des quelques rues, on rencontre Goethe non loin de la taverne Auerbach où sévissaient Faust

Le cabinet de travail de Mendelssohn © Crescendo Magazine
Le cabinet de travail de Mendelssohn © Crescendo Magazine

et Mephisto, un monument à la gloire de Mendelssohn et son musée, la maison où il résida dès 1835 lorsqu'il fut nommé directeur musical du Gewandhaus, la maison de Friedrich Wieck, professeur de piano et père intraitable de Clara qui donna son premier concert au Gewandhaus lorsqu'elle avait neuf ans, un concert qui subjugua le jeune Robert Schumann alors étudiant en droit à l'Université de la ville... on connaît la suite... et on peut visiter aujourd'hui la maison où le couple s'installa de 1840 à 1844; un mémorial Wagner aussi, peu généreux pour sa ville natale, un musée des instruments de musique, le deuxième au monde après celui de Bruxelles et, au fil des rues, deux grands éditeurs de musique : les Editions Peters et les Editions Breitkopf und Härtel. C'est ici que Robert Schumann découvrit la copie de la partition

GE DIGITAL CAMERAde la Grande Symphonie en Ut Majeur de Schubert : enthousiasme fou... l'ami Mendelssohn créera la symphonie au Gewandhaus le 21 mars 1839, onze ans après la mort du compositeur qui, pour la première fois, fut joué dans la deuxième ville de Saxe.

Leipzig, c'est aussi l'Orchestre Symphonique de la Radio MDR qui, sous la baguette magique de Kristian Järvi, le frère de Paavo et le fils de Neeme, mène une expérience unique auprès des jeunes, mêlant musique classique, jazz, pop et folk music ; c'est encore la Maison Blüthner, facteurs de piano depuis cinq générations, dont on a pu suivre de A à Z la réalisation d'instruments de haute facture mais qui, évidemment, ne laissera pas échapper les secrets de la maison, ces petits plus qui font la marque.

Tradition et modernité : Leipzig fête son millénaire
Revenons aux deux grands pôles de la ville : le « quartier Bach » et le « quartier Gewandhaus » car c'est ici que se justifie au mieux l'intitulé de cet article.

La Maison Bose qui abrite aujourd'hui les Archives Bach et le Musée © Bach-Archiv
La Maison Bose qui abrite aujourd'hui les Archives Bach et le Musée © Bach- Archiv

C'est dans la maison de Georg Heinrich Bose, riche négociant et ami de Jean-Sébatien, sur le Thomas Square, que se trouve la « Bach-Archiv Leipzig », centre d'études et de recherches que consultent étudiants, musicologues et passionnés du Cantor, aux côtés duquel se trouve le Musée réouvert en 2010 et dont l'exposition permanente est à la pointe des techniques audio-visuelles. Les « Bach-Archiv » de Leipzig, sous la présidence de John-Eliott Gardiner, sont les plus importantes au monde concernant la musique de Jean-Sébastien et de ses fils. Sa réalisation « Bach Digital » offrira aux chercheurs et passionnés la quasi-totalité des manuscrits conservés. Parallèlement s’y développent des expositions temporaires à thème : au printemps et à l'été prochain, elle fera découvrir le rôle des femmes dans la journée de Bach -rôle beaucoup plus présent qu'il ne semble à priori; à l'automne suivant et début 2016, l'exposition proposera une incursion chez les autres enfants de Bach car il y eut bien sûr: Carl Philip Emanuel, Johann Christian, Wilhelm Friedemann, Johann Christoph... mais les autres... et ses filles... ? Les « Bach-Archiv » organisent également tous les deux ans un concours international consacré au piano, au clavecin, au violon, à l'orgue et au violoncelle. 2016 connaîtra sa vingtième édition du 5 au 16 juillet et elle sera consacré à l'orgue, à la voix et au violoncelle. Et puis, il y a aussi, chaque année, le « Leipzig Bach Festival », plus de cent événements en l'espace d'un peu plus d'une semaine (du 12 au 21 juin cette année) avec le « St. Thomas Boys Choir », le Gewandhaus Orchester et la crème des musiciens et ensembles internationaux.

Le monument J.S. Bach au pied de l'église St. Thomas - détail © Crescendo Magazine
Le monument J.S. Bach au pied de l'église St. Thomas - détail © Crescendo Magazine

Arrêtons-nous un moment sur le « St. Thomas Boys Choir » avec lequel Jean-Sébastien Bach passa vingt-sept ans de sa vie en tant que Cantor et Directeur de la Musique, responsable de l'organisation musicale des deux églises principales de la ville (St. Thomas et St. Nicolas où se réunissaient les manifestants en 1989 sous la houlette, notamment, de Kurt Masur). En fait, J.S. Bach était le vingtième Cantor de ce choeur dédié à la musique religieuse et fondé en 1212.

La tradition du samedi après-midi à l'église St. Thomas © Seran Bali
La tradition du samedi après-midi à l'église St. Thomas © Seran Bali

Aujourd'hui encore, tous les vendredis soirs et les samedis à 15h, en l'église St. Thomas, ont lieu des concerts de motets et cantates religieuses, de Bach principalement et, depuis 1992, l'actuel Cantor, Georg Christoph Biller, a entrepris l'intégrale des Cantates avec l'Orchestre du Gewandhaus dans l'ordre chronologique selon le dimanche de l'année liturgique. Et le public est là, bien présent, participant aux chants.

Arrêtons-nous maintenant au Gewandhaus.
C'est en 1743 qu'un groupe de seize marchands de Leipzig -la ville qui fête cette année son millénaire a toujours été et reste une riche ville commerçante- fonde une société de concerts sous le nom de « Grosses Concert ». Quelques vingt années plus tard, le nombre de musiciens grandit (33) et une plus grande salle s'impose.

L'ancien Gewandhaus reconstitué par une maquette dans le hall du Nouveau Gewandhaus © Crescendo Magazine
L'ancien Gewandhaus reconstitué par une maquette dans le hall du Nouveau Gewandhaus © Crescendo Magazine
Le public est assis face à face, comme à St. Thomas © Crescendo Magazine
Le public est assis face à face, comme à St. Thomas © Crescendo Magazine

Ce sera la salle haute de la halle aux tissus (Gewandhaus) qui ouvrira ses portes à la musique le 25 novembre 1781, et l'orchestre portera le nom de son hôte avec, à sa tête, Adam Hiller pour Konzertmeister. D'autres lui succéderont, et le premier véritable chef d'orchestre sera Felix Mendelssohn qui créera ici, outre la 9e Symphonie de Schubert, trois symphonies de Schumann et son concerto pour piano ainsi que certaines de ses propres symphonies -il fondera également à Leipzig le premier conservatoire de musique en langue allemande. Les plus grands noms se succèdent ensuite. On citera, entre autres, Arthur Nikisch (1895-1922) qui fut le premier à donner le cycle complet des symphonies de Bruckner et mena pour la première fois l'orchestre en tournée en Suisse, Wilhelm Furtwängler (1922-1928), Bruno Walter (1929-1933), Hermann Abendroth (1934-1945), Franz Konwitschny (1949-1962), Vaclav Neumann (1964-1968), Kurt Masur (1970-1996), Herbert Blomstedt (1998-2005) et, aujourd'hui, Riccardo Chailly. En 1840, le Gewandhaus devient officiellement l'Orchestre de la Ville et rejoint une tradition datant de 1479 où la municipalité recrutait trois 'artistics pipers' pour assurer la musique dans les célébrations publiques comme dans les services religieux dans les églises. Curieusement, dans la salle des « Grosses Concert » sise dans une maison privée, les auditeurs sont placés face à face, comme à la Thomaskirche. Un hasard ? Aujourd'hui, c'est l'orchestre du Gewandhaus, l'orchestre de la ville, qui assure la partie instrumentale des Cantates à St. Thomas. Détruite lors de la dernière guerre, la « Halle aux tissus » renaît à l'Augustus Platz en 1981, année du bicentenaire de l'orchestre, face à l'opéra, également victime de la guerre et à présent reconstruit.

Le Nouveau Gewandhaus inauguré en 1981 © Crescendo Magazine
Le Nouveau Gewandhaus inauguré en 1981 © Crescendo Magazine
L'intérieur de la salle et son orgue en majesté © Crescendo Magazine
L'intérieur de la salle et son orgue en majesté © Crescendo Magazine

Aujourd'hui, l'orchestre du Gewandhaus compte le plus grand nombre de musiciens au monde puisque son effectif total est de 182 musiciens. Il est vrai que, outre ses 70 « grands concerts » annuels, il accompagne toutes les semaines le St. Thomas Boys Choir, joue à l'opéra et donne 35 concerts de par le monde sans compter de nombreux enregistrements.
Ce samedi 1er février, le Gewandhaus et Riccardo Chailly accueillaient le jury des ICMA pour une soirée alliant à nouveau tradition et création. La tradition, il ne fallait pas s'y attendre dans l'interprétation de Rachmaninov par le chef italien qui propose des lectures renouvelées au travers de relectures intimes de la partition. Dès Vocalise op. 34 qui ouvrait la soirée, on avait compris que nous n'aurions pas un Rachmaninov sentimental et alangui « alla russe » mais un compositeur maniant la plume avec raffinement. Dans la 2e Symphonie qui clôturait la soirée, on retrouvait ce même caractère incisif porté par des sonorités châtoyantes, une pulsation continue et une fantastique énergie qui ne quitte pas un instant cette presqu’heure de musique. Revigorant à souhait ! On se réjouit déjà de la parution en CD des symphonies de Rachmaninov que les interprètes préparent pour le label Decca toujours fidèle au chef. Entre ces deux moments de beauté et de pureté musicales, nous écoutions, en création mondiale, une oeuvre d'une trentaine de minutes du compositeur italien Fabio Vacchi (°1949) : Le démon de la forêt d'après un conte de Amos Oz. De beaux effets orchestraux, des percussions précises, multiples et choisies, de belles textures sonores... mais Vacchi n'est pas Schubert... les longueurs n'étaient pas toutes divines. La soirée nous donnait toutefois l'occasion d'apprécier la magnifique acoustique de la salle du Gewandhaus où, sur le fond de scène, on peut lire depuis la création de l'orchestre : « Res severa verum gaudium » (La vraie joie est une chose sérieuse).
Bernadette Beyne
Leipzig, du 30 janvier au 2 février 2015

 

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