Les cuivres et les rites de passage dans le répertoire baroque austro-allemand

par

Passages. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Equali no 1 & 3 [paroles d'Ignaz Xaver Ritter von Seyfried] ; Du, dem nie im Leben Ruhstatt ward. Heinrich Schütz (1585-1672) : O meine Seele, warum bist du betrübet SWV 419, Fili mi Absalon SWV 269, Freue dich des Weihes deiner Jügend SWV 453. Johann Georg Ahle (1651-1706) : Freudenlied. Samuel Scheidt (1587-1654) : Paduana dolorosa SSWV 42. Dieterich Buxtehude (1637-1707) : Klage-Lied BuxWV 76. Martin Mayer (c1642-c1709) : Da der Tag ein Ende nahm. Roland de Lassus (c1530-1594) : Aurora lucis rutilat. Johann Philipp Krieger (1649-1725) : Ich bin eine Blume zu Saron. Christoph Strauss (c1575-1631) : Haec Dies. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : O Jesu Christ, meins Lebens Licht BWV 118 ; Herzlich tut mich verlangen BWV 727. Johann Hermann Schein (1586-1630) : O Jesulein, mein Jesulein. Dietrich Becker (1623-1679) : Traur- und Begräbnuss-Music des Herrn Johann Helms. InALTO, Lambert Colson.   2021. Livret en anglais, français, allemand (pas de texte des compositions vocales, néanmoins disponibles sur le site Outhere). TT 77’23. Ricercar RIC443

Depuis leur origine, les cuivres sont associés à la solennité, sous diverses circonstances et particulièrement sous l’angle de ce que le livret désigne comme « expériences de seuil ». Voici ce que vient rappeler cet album, qui explore leur rôle dans les rituels de passage (naissance, mariage, mort, vie nouvelle…) au sein du répertoire germanophone du XVIe au XVIIIe siècles. Propice à l’ésotérisme, le timbre grave et velouté des trombones sait traduire les sombres épisodes de la destinée, notamment escorter les défunts, tandis que trompettes et cornets expriment volontiers la joie et la festivité. Dans ce spectre organologique demeurent quelques ombres. En l’occurrence, la musicologie n’a pas permis d’identifier avec certitude les instruments que Bach entendait par les « due litui » sollicités pour la cantate BWV 118, ici restitués par une paire de « corni da tirarsi », cor en laiton avec section recourbée et coulisse.

En exergue de ce CD, on trouve ainsi les trombones pour ces Equali de Beethoven dont deux, abondés par un texte de Ritter von Seyfried, furent joués aux funérailles du compositeur. À l’instar du Death & Devotion paru chez Channel Classics en 2004, deuil et affliction dominent une large part du programme : de Schütz, la déploration O meine Seele, warum bist du betrübet, la bouleversante lamentation du biblique Roi David pour son fils Absalon (incluant une danse macabre). De Buxtehude, le vacillant Klage-Lied joué lors des obsèques de son père. Le décorum culmine avec un extrait des Dévotions du Vendredi Saint de Martin Meyer, requérant huit trombones. Dans cette veine, l’œuvre la plus développée est le Traur- und Begräbnuss-Music des Herrn Johann Helms de Dietrich Becker. 

Contrebalançant ces instances de morbidité, le sourire de la Résurrection transparait dans le Haec Dies du Viennois Christoph Strauss à la manière vénitienne de Giovanni Gabrieli, et dans l’hymne de Pâques Aurora lucis rutilat de Lassus. S’invitent aussi des pages heureuses, comme l’appel au plaisir nuptial du Freue dich des Weihes deiner Jügend d’Heinrich Schütz, le Freudenlied de Johann Georg Ahle célébrant le futur empereur Joseph Ier, ou le Jesulein de Johann Hermann Schein réjoui par le berceau du Divin Enfant. Dérivé de la mélodie d’une chanson galante de Hans Leo Hassler, partagé entre immanence et nostalgie, le terrestre et le céleste, le choral Herzlich tut mich verlangen (pour orgue et ici orné de cornetto muto) dialectise diverses facettes de l’existence et résumerait le cosmos expressif de ce disque.

On ne présentera pas toutes les étapes de cet envoûtant parcours, d’autant que l’érudite notice de Grantley MacDonald les détaille. On saluera plutôt l’intelligence de cette anthologie et l’exceptionnelle qualité de la réalisation instrumentale et vocale par l’ensemble InALTO, parée d’une excellente prise de son (l’adjectif n’est pas galvaudé), somptueuse dans le registre grave. Si l’entreprise ambitionne de nous emporter dans la ferveur de son cérémonial, dans le mystère de ses arcanes, le pari réussit sur tous les paramètres et sans relâche.

Son : 10 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 



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